Jeudi 1er septembre, Nicolas Nicolas Sarkozy avait organisé une « Conférence internationale de soutien à la Libye nouvelle ». La dénomination était pompeuse, presque curieuse. Le président n'espérait qu'une chose, s'extraire de la nouvelle affaire Sarkozy/Bettencourt et capitaliser au mieux sur son nouveau statut diplomatique.
Depuis mercredi, deux journalistes du Monde ont dénoncé l'ampleur des pressions exercées par Nicolas Sarkozy et ses proches sur 27 « gêneurs », dont la juge Isabelle Prévost-Desprez. Mais l'affaire Bettencourt n'est qu'un scandale parmi d'autres. Jeudi, le Monde accusait l'Elysée d'avoir fait espionner l'un de ses journalistes. La DCRI avait demandé, le 19 juillet 2010, les relevés téléphoniques mobiles du journalistes Gérard Davet. Jusqu'alors, les pontes de Sarkofrance, jusqu'à Sarkozy lui-même, avaient nié toute investigation en dehors du cadre de l'enquête administrative au sein du ministère de la Justice. Cette fois-ci, avec une désinvolture incroyable et cynique, Claude Guéant confirma les faits, les qualifiant de « repérages de communications téléphoniques ». Alors finalement, la DCRI serait-elle la Stasi ?
Mardi, un autre journaliste, Fabrice Arfi de Mediapart, a déposé plainte pour harcèlement. Depuis le 2 juillet dernier et le début de la publication de son enquête sur Ziad Takieddine, il reçoit des menaces de mort.
On apprenait également que l'Elysée avait débarqué Dominique Paillé, ancien porte-parole de l'UMP rallié à Jean-Louis Borloo de la tête de l'Office français de l'immigration et de l'intégration... 7 mois à peine après avoir été nommé. « Sarkozy a fait pression. (...) C'est sa méthode de gouvernement. » a commenté le sanctionné. Autre fait du prince, Sarkozy a également remplacé Jean-Jacques Aillagon, actuel président du Château de Versailles, par sa conseillère Catherine Pégard.
Bref, le climat politique était à nouveau délétère dès ces premiers jours de rentrée. Le Monarque cherchait un peu d'oxygène sur la scène internationale.
Mercredi soir, il avait déjà livré son programme diplomatique aux ambassadeurs. Un rendez-vous traditionnel qui, cette fois-ci, fut malheureusement occulté. On ne retint que l'hommage appuyé à l'OTAN, et sa nouvelle fermeté contre un autre de ses anciens amis, Bachar el-Assad. L'Europe de la Défense est bel et bien morte. Et Sarkozy applaudit encore.
Jeudi, il recevait à l'Elysée les représentants de quelque 60 pays, la photo était prestigieuse, mais les questions nombreuses et, souvent, sans réponse.
1. Le 19 mars dernier, le sommet de Paris s'abritait au moins derrière la légitimité d'une résolution du conseil de Sécurité de l'ONU adoptée quarante-huit heures avant. Cette fois-ci, rien de tout cela. Quel est le cadre juridique de cette conférence ? Il n'y en a pas. Sarkozy continue, sur sa lancée, à jouer au George W. Bush en miniature. Un journaliste allemand s'amusait, mercredi: « Dès que les conditions de sécurité le permettront, Nicolas Sarkozy veut aller se faire acclamer en personne à Tripoli. »
2. Pourquoi une telle conférence internationale ? Les arguments avancés jusqu'alors étaient bien flous. Il s'agirait d'accélérer la reconnaissance officielle du Conseil National de Transition libyen (CNT) et d'acter le changement de régime. Pourtant, le pays n'a pas encore de gouvernement légitime.
3. En Libye, certains amis sont-ils toujours infréquentables ? Les opposants à la guerre en Libye (si, si, il y en a) ont pointé du doigt les anciennes fidélités islamistes de certains des membres du CNT si vite reconnu par la France en mars dernier. Les révolutions sont toujours des périodes troubles. Il est certes bien facile de disqualifier un pouvoir naissant. Mais le trouble est réel à cause... de l'attitude occidentale et notamment française: la Sarkofrance a entretenu de sales relations en Libye.
4. En France, on attendait aussi des autorités de l'Etat un peu de distance et de lucidité à l'égard de la situation actuelle. Il y a évidemment la question des exactions commises par certains rebelles, sans parler des « dommages collatéraux » des bombardements alliés. La première des responsabilités d'une démocratie adulte est, a minima, de reconnaître les faits quand ils sont avérés ou, à défaut, d'enquêter. Depuis mars dernier, le silence officiel fut total.
5. Il y a aussi la question de l'avenir. L'engagement militaire initial était « humanitaire », avec de belles arrière-pensées médiatico-électorales chez Nicolas Sarkozy. Le pouvoir Kadhafi étant tombé, il semblerait que les Alliés, France en tête, aient décidé de récupérer une large part des ressources du pays. Le CNT aurait « réservé » 35% des ressources pétrolières du pays aux entreprises françaises. Libération a publié un courrier secret du CNT. Le pétrolier Total a démenti. Mais Alain Juppé comme Eric Besson ont expliqué qu'un tel favoritisme ne serait pas choquant. Quelques heures plus tard, patatras ! L'affaire se retourne. Des représentants du CNT démentent à leur tour, le courrier publié serait un faux. Pire, ils expliquent qu'il procèderont à des appels d'offre.
6. La démarche de rapace était effectivement choquante. Jusqu'au printemps dernier, le colonel Kadhafi était déjà un partenaire choyé, y compris et surtout économiquement. Kadhafi tombé, rien ne change.
Nicolas Sarkozy, par l'intermédiaire de Claude Guéant et de Brice Hortefeux, et avec le concours de l'ami très proche Ziad Takieddine, a négocié quelques contrats avec le gouvernement Kadhadi entre 2005 et 2007, bien avant la libération des infirmières bulgares en juillet 2007. Fin juillet dernier, Mediapart avait accusé l'intermédiaire franco-libanais d'avoir obtenu en avril 2007 « grâce à l'appui du ministère français de l'intérieur », au moins 4,5 millions d'euros de « commissions occultes sur un marché de livraison de matériel de guerre électronique vendu par la société i2e (filiale du groupe Bull) à la Libye».
Après le déclenchement de l'offensive onusienne en mars dernier, Ziad Takieddine était visiblement très proche des autorités libyennes: il a été interpelé au sortir de son jet, au Bourget, le 22 mars, avec 1,5 million d'euros en liquide, alors qu'il accompagnait deux journalistes français revenant d'une interview avec le colonel Kadhafi. La France n'était pas la seule à vendre ses produits et services au dictateur libyen. Le Royaume Uni, autre pilier de l'intervention occidentale en Libye, a augmenté ses exportations d'armes au printemps, y compris vers la Libye...
En Libye, une autre société française, Amesys, filiale du groupe Bull, a vendu aux autorités la technologie nécessaire pour surveiller le Web, et en particulier l'opposition. Des journaistes du Wallstreet journal sont tombés sur des documents explosifs dans des locaux officiels abandonnés: Amesys a déployé son système en 2009. L'ancien ministre de l'intérieur... Nicolas Sarkozy était-il au courant ? A-t-il participé à cette négociation ?