Sans s'aventurer dans les multiples sens du mot « information », l'entreprise reconnaît au moins deux applications de ce terme (et donc aussi deux métiers) : l'information au sens des Systèmes d'Information (SI), et l'information au sens de la Recherche d'Information (RI). Le premier domaine est celui de l'informaticien, le second celui du documentaliste et du veilleur. Le premier traite des données formelles indépendamment de la valeur de l'information, tandis que les second ont affaire avec des significations et du contenu. Si on met de côté l'aspect technique de la RI (indexation, classement automatisé), je dirais que si la SI est une question de système, la RI a plutôt à voir avec le dispositif1.
Les termes de « système » et de « dispositif » sont aussi des concepts – c'est-à-dire des objets de pensée. Mais, reprenant une méthode du philosophe autrichien Ludwig Wittgenstein, il me semble plus intéressant de les différencier en fonction de leur usage. Lorsqu'on parle de « système », on veut signifier un tout ordonné déjà-là de parties interdépendantes, comme on dit « ça fait système ». Lorsqu'on parle de « dispositif » on fait plutôt référence à une mécanique fabriquée qui s'enclenche en fonction des besoins et qui est capable de répondre à certaines fins comme un « dispositif de défense ».
J'entends par là que le SI dans une entreprise est une structure relativement passive dans le sens où elle ne fait que fournir un réseau formel et stable aux informations, alors que le RI fonctionne plutôt comme une machine qui transforme l'information en connaissance puis idéalement en action.
J'en viens à aborder l'idée de « management de l'information ». Si le SI offre un cadre à l'information, la RI ne lui offre qu'un espace. C'est-à-dire que dans le SI, l'information est structurée formellement alors que dans la RI, elle est libre et pour ainsi dire « folle ». En effet, lorsqu'on met en place un dispositif de RI – de la collecte à la diffusion en passant par l'analyse – il est impossible de pré-définir l'information pour la simple et bonne raison que sa valeur réelle ne découlera précisément que du fonctionnement du dispositif. En clair, un dispositif de RI produit l'information, alors qu'un SI ne fait que la contenir. Il est donc nécessaire d'instaurer un contrôle particulier de la RI que j'appelle « management de l'information ».
Au-delà du documentaliste et du veilleur, il me semble donc important de constituer un nouveau métier : celui d'info-manager. Il sera notamment chargé de veiller au bon fonctionnement du dispositif de RI et de lui fixer des objectifs ainsi que d'en évaluer l'efficacité. Car l'information ce n'est pas neutre, ce n'est pas un accessoire, cela a un coût et cela doit avoir une rentabilité. Comme on manage des projets, des équipes et des budgets, il faut donc aussi manager l'information. Ce sera la mission de l'info-manager. J'aurais certainement l'occasion de revenir sur le métier d'info-manager, mais on peut déjà indiquer au moins trois missions :
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Organiser, piloter et coordonner les besoins et les recherches d'information au sein de l'entreprise
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Construire des dispositifs qui rendent l'information utile, c'est-à-dire qui permettent de la transformer en connaissance puis en action
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Rendre compte de manière comptable du coût et du retour sur investissement de l'information en l'associant aux projets et aux décisions qui ont été rendus possibles grâce à elle
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1« Au-delà des méthodes et des outils, la veille est une question de dispositif » in : Nicolas Moinet, Christian Marcon, L'intelligence économique, Dunod, Paris, 2006, page 15