Dans le sud de la Toscane, autour d'une de ses maisons, Daniel Spoerri a aménagé un jardin de sculptures, les siennes et celles d'amis, aujourd'hui plus de cent, qu'il faut plusieurs heures pour découvrir, suant sous le soleil estival et chassant taons et moustiques. On y voit bien sûr quelques reliefs de repas aux murs, mais surtout des ensembles intégrés à la nature, dans des prés ou au creux des bois, des oeuvres où souvent se manifeste la tension entre homme et femme, entre principe guerrier et principe nourricier, entre vie et mort. Une des plus belles sculptures, à mes yeux, est cette Fosse Commune des Clowns, belle et tragique, dans un coin reculé du parc : y reposent cinq marionnettes disloquées, danseuses désarticulées victimes d'un massacre, dormeurs du val au visage aboli. Ailleurs, la Belle se voile devant la Bête, le coquelet séducteur va se faire dévorer par la Mante irreligieuse, et la Bersagliera faite d'objets récupérés (plusieurs des sculptures de Spoerri évoquent Arman, qui est aussi présent ici avec son propre monument sédentaire, fait d'outils aratoires) monte la garde près de l'entrée (mais elle n'a pas les rondeurs de son homonyme).
Les Napolitains nomment, en dialecte, le Vésuve Mamma muntagna. Roland Topor avait dessiné cette
femme accroupie : de son sexe béant jaillissent des pierres; elle est aujourd'hui en marbre de Carrare en un point du Jardin et en terre-cuite en un autre. Rien de menaçant en elle, plutôtune évidence, une inéluctabilité, un fatalisme tout napolitains. Dans un registre aussi féminin mais plus drôle, la Pisseuse d'Alfonso Hüppi, accrochée au mur de l'hôtel comme une enseigne ambiguë, asperge les passants. Il faudrait en mentionner bien d'autres, le troupeau d'oies mené par trois tambourins et un enfant d'Olivier Estoppey (Dies Irae), tout au bout du Jardin, avec une vue superbe sur la ville voisine de Seggiano, des chaises en fil de fer barbelé destinées à nos dirigeants politiques (de Luciano Ghersi, 'Le poltrone del Buon Governo'; j'y verrais bien, côte à côte, Berlusconi, Sarkozy et DSK). En contrepoint, une des plus belles (et des plus sobres aussi) sculptures est la reproduction d'une sculpture attribuée à Goethe, Agathe Tyche, la pierre de la belle fortune, de la bonne chance : une sphère en équilibre sur un cube, tous deux en travertin, à l'orée du bois, comme un autel laïque à la sagesse. Mon autre coup de coeur absolu va à une autre reproduction posthume, la Fontaine d'Hermès de Meret Oppenheim : bâtons et serpent, eau vive et motifs circulaires au sol. Plus que les exubérances d'autres, ces deux pièces m'ont conquis, au terme de cette longue visite.Toutes les photos proviennent du site du Jardin. Spoerri, Topor, Estoppey et Oppenheim étant représentés par l'ADAGP, les reproductions de leurs oeuvres seront ôtées du blog au bout d'un mois.