C’est un dogme que le procès de Jeanne, ce sont les Anglais, aidés de l’évêque Cauchon, un collabo, qui en sont responsables. Or, cela n’est pas totalement vrai.
Cauchon avait tenu à ce que le procès de Jeanne fût, selon sa formule même, un beau procès, canoniquement inattaquable. Ce n’est pas Cauchon, du reste, ni, encore moins, les Anglais, qui avaient conçu l’entreprise, mais bien l’Université de Paris, les théologiens de Paris. Qui avait amorcé l’opération ? Qui avait signé la première lettre réclamant Jeanne au Duc de Bourgogne, dont elle était la prisonnière, pour la juger et la condamner comme hérétique ? Cauchon ? Les Anglais ? Pas du tout. Mais un certain Martin Billorin, inquisiteur en sous-chef, au nom de l’inquisiteur en chef du royaume de France pour la recherche et la destruction de la perversité hérétique, Jean Graverent, absent alors de Paris.
Cauchon
Agissant comme il le fait, et exigeant que Jeanne lui soit livrée, Martin Billorin usa de « l’autorité à nous commise par le Saint-Siège de Rome ». En conséquence, l’inquisition délégua à Rouen un représentant qualifié, et il n’est que de lire la sentence finale, prononcée conjointement par Cauchon et ce délégué de l’inquisition, pour constater que le procès de Jeanne fut bien un procès d’Eglise, engageant l’Eglise, engageant Rome, puisque l’inquisiteur tient ses pouvoirs de l’autorité apostolique.Bernanos, dans son texte de 1929 « Jeanne relapse et sainte » reconnaît et souligne largement ce fait.
Cauchon aurait-il été désavoué, à l’époque, par le Saint-Siège ? C’était Eugène IV qui occupait le trône de Saint-Pierre lorsque Jeanne fut brûlée vive. Lorsque, qu’après le procès ce pape transféra Cauchon, au siège épiscopal de Lisieux, il tint à lui rendre « un paternel hommage au bon renom de ce prélat, louant par ailleurs les doctrines sacrées des maîtres de l’Université de Paris et leur zèle à conserver la pureté de la lumière qui brille dans la maison du seigneur » (Bernanos)
Dans son ouvrage publié en 1970 « De l’Eglise du Christ », Maritain a examiné de près les procédés canoniques de l’inquisition : « les tribunaux de l’inquisition, écrit-il, prenaient soin de noter d’abord que l’Eglise s’interdit de verser le sang. En conséquence de quoi, ils abandonnaient le coupable au bras séculier qui, lui, ne s’interdisait pas de verser le sang. Ainsi le tour était joué. »…. « …l’abandon au bras séculier était, de soi, une hypocrisie. Car c’étaient les théologiens qui étaient les juges, conduisaient l’enquête et portaient la sentence. C’est donc eux qui avaient la pleine responsabilité de la peine de mort entraînée par la sentence, le bras séculier n’étant, en réalité, qu’un instrument. On ne manquait pas, du reste, de prier celui-ci, en pieuse formule, d’épargner la mort au coupable. Mais si, par extraordinaire, il arrivait toutefois qu’un prince prît au sérieux la pieuse formule, il se trouvait lui-même excommunié »
(à suivre : le procès de condamnation de Jeanne )
Rouen