Par Bernard Vassor
On aperçoit à droite sur la photo les hottes de chiffonniers déposées devant l'entrée du "mannezinc" du numéro 4 de la rue des Anglais
Un logis de nuit « à la corde ».
Malgré l'épaisse fumée, on pouvait distinguer plusieurs tableaux et fresques humoristiques dont certains ne manquaient pas de qualité.
Comme au Château Rouge, il fallait payer ses consommations à l’avance, et comme chez celui-ci, il fut fermé par décision préfectorale en juillet 1886. Cet établissement avait été fondé à la révolution par un certain Lefèvre. Il avait une énorme paire de lunettes cerclées de cuivre qu’il portait sur le front. C’est en raison de cette manie qu’il avait été surnommé le Père Lunette, fort de ce sobriquet, il a fait peindre sur sa boutique une énorme paire de bésicles, puis, il en avait fait faire une enseigne. En 1856, c'est le père Martin qui en prit la succession.
La complainte du Père Lunette était traditionnelement chantée en coeur :
"A gauche en entrant est un banc
Où le beau sexe en titubant
Souvent s'allonge
Car le beau sexe en cet endroit
Adore la chopine et boit
Comme une éponge.
La salle est au fond. Sur les murs
Attendant les salons...futurs
Plus d'une esquisse
Plus d'un tableau riche en couleurs
Se détache plein de chaleur
Et de malice.
Les pieds posés sur ce dos vert
Une Vénus de la Maubert
Mise en sauvage
Reçoit des mains d'un maquereau
Une cuvette pleine d'eau
Pour son usage" L’ancien Préfet de police Gustave Macé, dans ses souvenirs décrit l’assommoir de l’ancienne rue des Anglaise, aujourd’hui rue des Anglais. Cette voie devait son nom à l’établissement de Bénédictines anglaises qui s’étaient installées là en 1677 dans la maison dont le numéro conventuel était le 28. Charles Virmaitre en fait la description suivante : « En pénétrant à l’intérieur il, failli se trouver indisposé, ses poumons se remplissant de l’atmosphère viciée et chaude qui régnait à l’intérieur de l’établissement. Un comptoir en zinc derrière lequel trônent le débitant et sa femme, occupe, presque dans toute sa longueur le côté droit de la pièce d’entrée.Dans l’étroit couloir, séparant ce comptoir du mur lui faisant face se presse une foule avinée, buvant debout, criant gesticulant. Derrière, on voit, sur un banc scellé dans le mur au dessous d’une rangée de cinq barils,cinq ou six vieilles femmes en haillons, sales, dépoitraillées, les unes assises, branlant la tête avec la cadence automatique particulière aux ivrognes, les autres couchées ivres mortes, presque toutes ronflant à l’unisson »La salle du fond était on ne sait trop pourquoi baptisée « le Sénat ».. C’était la salle où avait lieu le spectacle pour mériter le nom de cabaret. Les murs étaient ornés de gravures obscènes ou politiques. Un violoniste accompagnait un chanteur dont le répertoire débutait toujours par La chanson du Père Lunette :
« Oui quelques joyeux garnements
battent la dèche par moment
Chose bien faite !
J’ai dans mes jours de pauvreté,
J’ai dit-on, beaucoup fréquenté Père Lunette »
On ne servait que très peu de vin, à peine six ou sept barriques par mois. La consommation principale, était une méchante eau-de-vie « maison » qui méritait bien le surnom de tord-boyaux à 3 pétards le verre (15 centimes).
Au début du siècle, on venait écouter les tours de chant de Dédé l'Oiseau, Gaston trois pattes,Armand le Geulard et Joseph le maigriot. La salle de bal était au fond, et rien ne la séparait de la salle de consommation à l'entrée, avec un comptoir en zinc, de longues tables, et des bancs....Vers 1930, c'était devenu "le bal des Anglais", dans un décor de coupe-gorge, des couples dansaient la chaloupée devant des fournées de touristes américains.
Sources* : La rue ne figure pas dans Abbé Lebeuf : Histoire du diocèse de la Ville de Paris.
Un des articles du statut des religieuses, ordonnait de prier pour le rétablissement de la religion catholique en Angleterre, la propriété ayant une superficie de 1790 mètres carrés fut vendue au profit de l’Etat en l’an VII.
*Les mêmes que pour « le Château Rouge »