Depuis le 13 juillet 2011, les éoliennes sont soumises aux règles de la police des installations classées (ICPE). Une révolution juridique qui modifie en profondeur le régime de création, de fonctionnement et de cessation de l’activité de production de cette énergie verte. L’une de ses conséquences tient bien entendu aux conditions de financement des projets de parcs éoliens.
Les juristes qui connaissent bien ce droit et cette jurisprudence – très dense - ne seront pas surpris : la police des ICPE bouleverse le régime juridique des éoliennes. Les entreprises de ce secteur doivent désormais se familiariser avec une multiplicité de textes et de décisions de justice qui viennent former un corpus de règles complexe et subtil.
L’un des aspects de ce bouleversement tient bien entendu aux conditions de financement du projet. L’attention des acteurs de ce financement et notamment des banques et des développeurs sera attirée par un niveau de risque juridique plus élevé et la nécessité de ne plus concevoir les montages de contractuels et de sociétés de la même manière qu’à une époque où seul un permis de construire était requis en phase création.
Il n’est pas de propos ici de détailler toutes les conséquences du classement ICPE en matière de financement de projet mais de présenter quelques questions qui me sont plus fréquemment posées depuis ces derniers mois.
La question des capacités techniques et financières
Le classement ICPE des éoliennes a notamment été décidé pour écarter la création de sociétés de projets qui ne seraient que des « coquilles vides ». En effet, la société qui va présenter une demande d’autorisation d’exploiter au titre de la police des ICPE devra démontrer avoir les « capacités techniques et financières » requises pour pouvoir, après autorisation, exploiter puis démanteler le parc éolien. Insistons sur ce point : il s’agit bien de rapporter la preuve de deux éléments à savoir le bénéfice de capacités et techniques et financières. Cette double preuve est requise.
Côté pile, l’obligation de rapporter cette preuve présente bien sûr l’avantage d’assurer à l’administration et à la collectivité que l’exploitant d’une ICPE – tel désormais un parc éolien – sera en mesure de faire face, tant sur le plan technique que financier, à un dysfonctionnement ou un accident qui suppose une mobilisation rapide, tant des hommes, des machines que des capitaux.
Côté face, cette obligation représente toutefois une contrainte importante, soit pour de nouvelles sociétés qui souhaiteraient se lancer dans l’éolien sans encore disposer d’aucune expérience, soit pour celles qui ne disposent pas des fonds propres suffisants pour financer sans investisseurs extérieurs la réalisation d’un projet. La règle selon laquelle un projet doit faire l’objet d’un financement spécifique peut parfois s’opposer à la règle des capacités techniques et financières qui tend à l’inverse à ce que la société fasse si possible état de la conduite passée de plusieurs projets.
La contrainte de financement peut entrer avec la contrainte juridique et les choix sont alors délicats pour les investisseurs et développeurs.
Sur le plan du droit, l’obligation pour le demandeur d’une autorisation d’exploiter ICPE de démontrer la réalité de ses capacités techniques et financières procède de nombreuses dispositions du code de l’environnement. Celles-ci précisent tout d’abord que la preuve des capacités techniques et financières doit être rapportée au moment de la présentation de la demande initiale d’autorisation d’exploiter ICPE.
Ainsi, l’article L. 512-1 du code de l’environnement dispose que
« La délivrance de l'autorisation (…) prend en compte les capacités techniques et financières dont dispose le demandeur, à même de lui permettre de conduire son projet dans le respect des intérêts visés à l'article L. 511-1 et d'être en mesure de satisfaire aux obligations de l'article L. 512-6-1 lors de la cessation d'activité. »
L’article R.512-3 du même code précise en outre
« La demande prévue à l'article R. 512-2, remise en sept exemplaires, mentionne : (…)
5° Les capacités techniques et financières de l'exploitant (…) »
Il convient de noter que la preuve des capacités techniques et financières ne doit pas être rapportée qu’au moment de la présentation de la première demande d’autorisation d’exploiter. Elle doit pouvoir être rapportée en permanence au cours de la vie du parc éolien ICPE et toute modification desdites capacités doit faire l’objet d’une procédure spécifique de signalement auprès de l’administration (art. L.516-2 du code de l’environnement).
Pour les sociétés qui entendraient céder le parc éolien après la phase développement, il leur faut notamment tenir compte des deux observations suivantes. D’une part, tous les parcs éoliens sont aujourd’hui des ICPE, qu’ils aient été dispensés ou non de suivre une procédure d’autorisation ICPE. D’autre part, le nouvel exploitant qui succèdera éventuellement à la société en charge du développement devra à son tour démontrer ses capacités techniques et financières. Il convient en effet de souligner que la police des ICPE ne connaît pas des distinctions entre société de développement et société d’exploitation : elle ne reconnaît que l’exploitant, qu’il soit pétitionnaire, actuel et dernier.
L’obligation d’avoir à démontrer les capacités techniques et financières du nouvel exploitant en cas de changement est fixée à l’article L.512-16 du code de l’environnement. A défaut de cette preuve, le changement d’exploitant ne sera pas possible, et, partant, la cession du parc non plus.
Le contenu des capacités techniques et financières
Le code de l’environnement ne fournit cependant que peu d’indications sur le contenu de la preuve qui doit être ici rapportée. Qu’entend-on exactement par « capacités techniques et financières » ? A quel moment précis une société – et avec quelle forme – est susceptible de démontrer qu’elle justifie des capacités ici requises ? Où placer le curseur ?
Il va de soi qu’une première réponse tient à ce que l’exploitant doit démontrer être en mesure de respecter toutes les prescriptions générales applicables à la rubrique de la nomenclature ICPE dont son projet dépend. Pour les parcs éoliens viés à la rubrique 2980, il s’agit notamment des arrêtés du 26 août 2011 et des textes au visa desquels ils ont été signés.
Par voie de conséquence, il convient de se reporter à la jurisprudence, le Juge des installations classées appréciant au cas par cas la réalité et la suffisance desdites capacités techniques et financières. Il n’y a ici pas d’autre choix que de procéder à une recherche très fine de jurisprudence étant entendu que nous ne disposons bien sûr pas de précédents s’agissant de l’éolien, le contentieux n’existant pas encore. Il conviendra donc, non seulement de procéder à une recherche de jurisprudence mais, de surcroît, de procéder par analogie pour transposer au cas de l’éolien des précédents relatifs à d’autres secteurs d’activités.
Il est tout simplement impossible de faire état ici des caractéristiques principales de la jurisprudence relative aux capacités techniques et financières des ICPE, l’une des raisons tenant à ce que la recherche de jurisprudence doit partir d’une problématique précise et sera donc adaptée au cas par cas. Notons simplement que la preuve de ces capacités doit être rapportée très précisément par la société qui présente la demande d’autorisation. Conformément au principe d’autonomie des personnes morales, la société qui présente la demande d’autorisation ne peut se prévaloir des capacités techniques et financières de sa société mère ou d’une autre filiale du même groupe de sociétés : elle doit personnellement disposer de ces capacités.
La règle des garanties financières
Les conditions de financement d’un projet éolien ne sont pas seulement bouleversées par la règle des capacités techniques et financières et il convient de citer d’autres exemples sur une liste bien plus longue.
De manière générale, l’obligation de constitution de garanties financières est définie à l’article L.516-1 du code de l’environnement :
"La mise en activité, tant après l'autorisation initiale qu'après une autorisation de changement d'exploitant, des installations définies par décret en Conseil d'Etat présentant des risques importants de pollution ou d'accident, des carrières et des installations de stockage de déchets est subordonnée à la constitution de garanties financières".
Ce sont donc les installations présentant les risques les plus importants qui sont soumises à cette obligation de garanties financières (art. R.516-1 du code de l’environnement). De manière surprenante, les éoliennes sont au nombre de ces installations.
S’agissant spécifiquement des éoliennes, c’est le Décret n° 2011-985 du 23 août 2011 « pris pour l'application de l'article L. 553-3 du code de l'environnement » qui précise le régime de constitution des garanties financières
« Art. R. 553-1. ― I. ― La mise en service d'une installation de production d'électricité utilisant l’énergie mécanique du vent soumise à autorisation au titre de l'article L. 512-1 est subordonnée à la constitution de garanties financières visant à couvrir, en cas de défaillance de l'exploitant lors de la remise en état du site, les opérations prévues à l'article R. 553-6. Le montant des garanties financières exigées ainsi que les modalités d'actualisation de ce montant sont fixés par l'arrêté d'autorisation de l'installation.
« II. ― Un arrêté du ministre chargé de l'environnement fixe, en fonction de l'importance des installations, les modalités de détermination et de réactualisation du montant des garanties financières qui tiennent notamment compte du coût des travaux de démantèlement.
(…)« Art. R. 553-2.-Les garanties financières exigées au titre de l'article L. 553-3 sont constituées dans les conditions prévues aux I, III et V de l'article R. 516-2 et soumises aux dispositions des articles R. 516-4 à R. 516-6. Le préfet les met en œuvre soit en cas de non-exécution par l'exploitant des opérations mentionnées à l'article R. 553-6, après intervention des mesures prévues à l'article L. 514-1, soit en cas de disparition juridique de l'exploitant.
« Art. R. 553-3.-Les installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent existantes à la date d'entrée en vigueur du décret n° 2011-984 du 23 août 2011 modifiant la nomenclature des installations classées, pour y introduire les installations mentionnées à l'article L. 553-1, sont mises en conformité avec les obligations de garanties financières prévues à l'article L. 553-3, dans un délai de quatre ans à compter de la date de publication dudit décret.
A noter : le nouvel article R.553-1 du code de l’environnement introduit un régime spécifique et « original » de responsabilité de la société mère de l’exploitant :
« III. ― Lorsque la société exploitante est une filiale au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce et en cas de défaillance de cette dernière la responsabilité de la maison mère peut être recherchée dans les conditions prévues à l'article L. 512-17.
Le fait que la responsabilité de la société mère puisse être recherchée ne dispense pas sa filiale, auteure de la demande d’autorisation d’exploiter ICPE de rapporter elle-même de ses propres capacités techniques et financières.
A noter également : les garanties financières doivent être constituées avant la mise en service de l’éolienne soumise à autorisation et non en cours d’exploitation comme le précise le nouvel article R. 553-4 du code de l’environnement :
« Lorsque l'installation change d'exploitant, le nouvel exploitant joint à la déclaration prévue à l'article R. 512-68 le document mentionné à l'article R. 553-2 attestant des garanties que le nouvel exploitant a constituées ».
Pour prendre connaissance des conditions détaillées de constitution des garanties financières, il convient de se reporter aux dispositions de l’arrêté du 26 août 2011 « relatif à la remise en état et à la constitution des garanties financières pour les installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent ».
Cet arrêté comporte une annexe I relative à la formule de calcul des garanties pour laquelle le coût unitaire par aérogénérateur est fixé à 50 000 euros. Il comporte également une annexe II comprenant une formule d’actualisation des coûts.
Ce régime des garanties financières, imposé aux ICPE présentant les risques les plus grands ne sera pas sans conséquences. Pour les petites sociétés ou les sociétés « participatives » faisant appel à l’épargne citoyenne, cette obligation d’avoir à constituer de telles garanties rend plus délicat la rédaction du plan de financement.
Et ce, alors que les garanties financières ne représentent que l’une des nouvelles contraintes qui viennent précisément bouleverser les conditions de financement des projets.
Arnaud GossementAvocat associé – Docteur en droit