[France Sarkozyste] « Quand Sarkozy a quelqu’un dans le nez, il l’élimine » – L’EXPRESS

Publié le 31 août 2011 par Yes

Deux journalistes ont rencontré les victimes politiques de Nicolas Sarkozy.

afp.com/Eric Feferbergh,

Dans leur ouvrage « Sarkozy m’a tuer », les journalistes Fabrice Lhomme et Gérard Davet ont recueilli les témoignages et les accusations de 27 victimes du sarkozysme.

Le président de la République n’aime pas qu’on se mette en travers de son chemin. Comme, avant lui, Jacques Chirac et François Mitterrand, son ascension est semée d’adversaires éliminés, de partisans sacrifiés ou de simples Français embarqués par accident dans une histoire trop grande pour eux. Mais, avec Nicolas Sarkozy, la machine à évincer s’est dotée de deux rouages supplémentaires: d’abord, la cause de l’élimination d’un « gêneur » peut être une simple exigence de communication ; ensuite, l’humiliation est couramment pratiquée, parce qu’elle permet de faire savoir que le clan présidentiel, une fois de plus, a été le plus fort. Dans leur livre, Fabrice Lhomme et Gérard Davet, grands reporters au Monde, sont allés à la rencontre de 27 victimes du sarkozysme. Leur ouvrage est une bombe lancée dans la présidentielle.

Y a-t-il une « méthode Sarkozy » pour éliminer quelqu’un?

Fabrice Lhomme : La volonté est récurrente, le processus change: on ne s’y prend pas de la même façon pour la petite comptable de l’affaire Bettencourt, Claire Thibout, qui dénonce un financement politique, ou pour Patrick Devedjian, qui s’oppose à Isabelle Balkany. Le système Sarkozy est très sensible aux rapports de forces: on écrase directement le faible, on procède de manière plus fine, voire perverse, avec le fort.

Gérard Davet: Un point commun cependant: la volonté d’humiliation. Nous citons la phrase fétiche de Nicolas Sarkozy, évoquée par Dominique de Villepin dans notre ouvrage: « Et pourquoi je me gênerais ? » Il n’aime pas qu’on se mette en travers de sa route et utilise tous les moyens à sa disposition.

Quel est son degré d’implication personnelle?

F. L. : Il y a ses colères: il a quelqu’un dans le nez, il faut l’éliminer. Et puis il y a les phénomènes de cour, avec des collaborateurs zélés qui vont au-devant des désirs du prince. Plusieurs victimes ont été frappées par une fatwa qui ne venait pas directement de lui, mais qu’il avait au moins avalisée.

Il a quelqu’un dans le nez, il faut l’éliminer.

G. D. : Depuis 2002 et son arrivée à l’Intérieur, il est constamment à la manoeuvre. En direct, comme pour le préfet de la Manche, viré à cause de sifflets subis à Saint-Lô, ou avec plus de distance, comme dans l’affaire Julien Dray, où il feint de ne pas être au courant. En revanche, dans l’affaire Claire Thibout, le lien entre Nicolas Sarkozy et le procureur de Nanterre, Philippe Courroye, est évident. Il dispose aussi des leviers médiatiques : après plusieurs charges publiques contre Daniel Bouton [NDLR : PDG de la Société générale au moment de l'affaire Kerviel], il finit par le faire craquer.

F. L.: La logique du bouc émissaire est emblématique de la pratique sarkozyste. Plusieurs victimes nous ont dit: « Il n’avait rien de personnel contre moi, mais il fallait un coupable. »

N’est-ce pas cela, la politique?

F. L. : C’est plutôt une dérive populiste inquiétante. On ne résout pas des problèmes complexes en coupant quelques têtes.

G. D. : Et, dommage collatéral, cela casse les corps de l’Etat. La haute administration, admirative au début à l’égard de Sarkozy, le rejette désormais.

N’est-il pas normal de sanctionner des fonctionnaires défaillants?

G. D. : Ce qui est contestable, c’est la volonté de casser. Un meeting en Corse se passe mal en 2003 – en grande partie de la faute de Sarkozy et de son cabinet, d’ailleurs – et on limoge le préfet. En outre, pourquoi le cabinet du ministre se sent-il obligé de faire circuler des photos ridicules du fonctionnaire ?

L’humiliation, en la rendant visible par l’opinion, n’est-elle pas indispensable pour donner une force politique à la sanction?

F. L. : C’est infliger une double peine. Sous Jacques Chirac et François Mitterrand, il n’y avait pas cette obsession de dégrader. Souvent, avec Sarkozy, les gens ne paient pas pour des fautes graves qu’ils auraient commises, mais parce que le président a été vexé ou parce qu’il se sent menacé. Ainsi, Dominique Rossi [NDLR : coordinateur des forces de sécurité en Corse] est limogé parce qu’une poignée de manifestants a envahi la pelouse de Christian Clavier, un ami du chef de l’Etat. Le responsable policier a bien géré l’incident, évité l’embrasement, mais il est viré!

Qui, dans le système Sarkozy, est à la manoeuvre?

G. D. : De hauts responsables de la police et de la justice: Bernard Squarcini, Philippe Courroye, Patrick Ouart, Michel Gaudin, Claude Guéant… Tous compétents, reconnus dans le sérail et en lien direct avec le président, qui peut leur demander ce qu’il veut sans s’exposer à la contestation.

F. L. : On a parlé de « cabinet noir » à l’Elysée sous Chirac. Ce qui est différent avec Sarkozy, c’est que tout est transparent, les hommes du président ont pignon sur rue et s’expriment dans la presse. C’est un « cabinet blanc ».

Peu de politiques?

F. L. : Les politiques mettent en musique les décisions prises: comme Dominique Paillé, Frédéric Lefebvre, Nadine Morano, Xavier Bertrand, Brice Hortefeux.

G. D. : Ceux-là montent au créneau avec des mots très durs. D’autres sont à la lisière du politique, comme Pierre Charon, très important avant sa disgrâce pour monter des cabales.

Plusieurs ont pris du champ. Le système se délite-t-il avec la fin du mandat?

F. L. : Au contraire, il se resserre. Ils sont allés très loin, ont fait des erreurs et cela s’est vu. Il y a une volonté de prudence, mais aussi un durcissement, car la réélection du président est menacée.

Il y a un durcissement car la réélection est menacée

G. D. : Ils gardent un sentiment d’impunité. Dans toute démocratie mature, Philippe Courroye aurait dû faire l’objet d’une enquête interne et être sanctionné. La Direction centrale du renseignement intérieur aussi.

Nicolas Sarkozy a-t-il, selon vous, commis des choses illégales?

F. L. : Il faudrait regarder ce qu’ont fait les services secrets, en matière d’écoutes notamment.

G. D. : Ce système n’est pas forcément illégal, mais il est très souvent amoral.

F. L. : Montrer à quelques journalistes amis un rapport de police évoquant le fait qu’une députée socialiste aurait été violentée par son conjoint, n’est-ce pas indigne ?

Réélu, Sarkozy changerait-il de méthode?

F. L. : Je pense au contraire que cela s’aggraverait. Les victimes décrivent un homme rancunier, qui ne pardonne pas. Dans le livre, nos « bannis du sarkozysme » le disent: s’opposer à lui, c’est s’exposer à des représailles.

Les « victimes » n’en font-elles pas beaucoup ? Facile de se déclarer martyr de Sarkozy…

Ce système n’est pas forcément illégal mais très souvent amoral.

G. D. : C’est une posture commode, en effet, pour certains d’entre eux. Beaucoup ne sont pas exempts de reproches, comme Yves Bertrand. Mais tous sont frappés par une vindicte personnelle du président et le ressentent comme une injustice. Victime de Sarkozy, on devient vulnérable, sans vraie résilience. Sauf pour Patrick Devedjian, que les électeurs ont confirmé contre le système Sarkozy.

F. L. : La plupart ne s’attendaient pas à un tel traitement et ont été traumatisés d’avoir été visés, parfois publiquement, par le président de la République.

Les victimes lui en veulent-elles personnellement?

F. L. : Oui. Elles ont développé une véritable haine.

G. D. : Elles nous ont révélé des choses parfois incroyables, qu’elles n’auraient jamais confiées si elles avaient été mieux traitées, plus discrètement.

Et pourtant, elles pourraient voter à nouveau Sarkozy…

G. D. : Ce n’est valable que pour les politiques, opportunistes par nature, qui pourraient même revenir dans le système si le président le leur proposait. Les fonctionnaires, non : ils ne sont pas armés, et ils ont trop souffert.

Certaines victimes font partie des médias : quelle vision avez-vous des journalistes politiques ? Serviles ou courageux?

G. D. : Difficile de généraliser. Mais, à l’étranger, on considère que le journalisme politique français doit se régénérer: c’est vrai, les interviews du président sont souvent complaisantes, les milieux politiques et médiatiques sont poreux. Sans compter les liens incestueux entre le président et les propriétaires de grands médias.

Nos téléphones ont été surveillés par les services secret

F. L. : Ceux qui osent sont sanctionnés. Nicolas Sarkozy a humilié plus d’un journaliste coupable d’avoir posé une question gênante, comme le faisait Mitterrand. Sarkozy, de ce point de vue, s’inscrit dans la pire tradition de la Ve République.

Avez-vous été inquiétés durant ce travail?

G. D. : Ce fut un livre compliqué à faire : pas de mails échangés entre nous, peu de conversations téléphoniques, des rencontres discrètes. En un an, nos téléphones ont été surveillés par les services secrets, nos appartements ont été cambriolés… Cela crée un climat pesant.

F. L. : Nous avons été frappés par un sentiment qui se dégageait de nos interlocuteurs: la peur.

« Quand Sarkozy a quelqu’un dans le nez, il l’élimine » – L’EXPRESS.