Le spectre de la feuille blanche hante chacun de nous lorsqu'on s'apprête à écrire. Des questions surgissent et accentuent nos craintes : Comment remplir cet espace qui nous nargue dans les moments de solitude et d'isolement? Quelle est donc cette manie destructrice qui nous étreint subitement et qui nous refuse tout rapport avec les mots ? Pourquoi va-t-elle jusqu’àôterla vie à chaque mot que nous produisons et, sans reconnaissance aucune, elle les jette auxquatre vents ne laissant place qu'à la blancheur fade de la feuille?
Pour les plusnaïfs, écrire est une opération des plus anodines. Ils pensent, prétendument, que cela dépend en grande partie du degré d'érudition de celui qui tente d'insuffler de la vie à travers un texte. Mais alors comment expliquer certains tarissements chez des écrivains dont le verbe coulait de source ? Pourquoi un écrivain comme Gao Xingjian n’arrive plus à écrire depuis qu’il a reçu le prix nobel de 2000 ?
L’acte d’écriture est un jeu de séduction entre l’auteur et la langue. Dans sa délicatesse à aborder chaque mot, dans sa finesse à cueillir chaque verbe et dans sa façon d’embrasser chaque expression l’auteur accroche, l’auteur embobine, l’auteur captive. Ensorcelée, la langue laisse paraitre toute sa splendeur. Une fusion s’opère et l’auteur se perd dans une frénésie verbale sans précédent où les mots se bousculent et les phrases se terminent ; et soudain le texte apparait.
Mais comme en amour, les mots peuvent aussi nous tourner le dos. D’un geste machinal, on se met à refuser tout ce que nous offre notre pensée. Les idées les plus chatoyantes deviennent alors livides et ternes. Chaque nouvelle phrase que nous composons est plus répugnante que la précédente, et les mots se dérobent dans un mutisme assourdissant.
En réalité, ce qui se passe c’est le troisième pole littéraire qu’est la réception qui rentre en jeu. L’auteur se met subitement à craindre le lecteur. Il a peur de ne plus séduire, de n’être plus la source de lumière qui guide les hommes. Car et comme l’a si bien rappelé Roland Barthes : « Pour l’écrivain, la littérature est cette parole qui dit jusqu’à la mort : Je ne commencerai pas à vivre avant de savoir quel est le sens de la vie. »
L’auteur refuse donc de jouer un rôle mineur, lui dont la seule vocation est d’émouvoir le plus grand nombre d’hommes.