Guy Cabanel (né en 1926) est de ces éléments attachants qui composèrent chacun à leur façon la deuxième génération, d'où s'envolent les noms de Jean-Pierre Duprey, Stanislas Rodanski ou Claude Tarnaud. Déboulant sur scène avec sa théorie de la « sodomisation des mots », il la met en œuvre dans son fameux A l'Animal noir. Les présents recueils ne sont certes plus de la même vigueur, mais ils laissent à ceux qui n'oublient pas le loisir de quelques bouffées d'une fragrance bientôt évanouie.
Ce qui réunit L'Ivresse des tombes et ce fort divertissant Hommage à l'Amiral Leblanc tient en deux thèmes : la mer et la mort – et donc l'amour. Triple humidité : celle de l'eau, de la terre sépulcrale et celle du sexe féminin, constamment évoqué, et constituant les bornes inséparables de ce qu'il est convenu d'appeler la vie. Au point qu'on ne sait plus de laquelle il est question : « Bercée dans les dunes qui recueillent les sifflements de l'air, elle rêvait de l'océan, des tempêtes sauvages, de son corps si mince flottant près de l'horizon ». Cette indifférenciation s'insinue dans le cours des choses, le déroulement des textes, portant le thème dans la banalité recherchée du poème et vers des hauteurs discrètes : « Tout autour les fusiliers marins ont gravé des sexes de femme. C'est pourquoi ces lieux sont sacrés ». On reconnaîtra aisément les motifs de l'esthétique érotique surréaliste. Le premier recueil – le plus récent – les développe une fois encore. Cette Ivresse des tombes, qui regarde épisodiquement du côté de Baudelaire et de Valéry, fait parfois de la mort une chanson à boire en vers de mirliton, qui n'est pas loin de la résignation hilare du fossoyeur : « Celui qui poursuit / son chemin solitaire / glacé parmi les pierres / froides reconnaît la voie / qui sous sa route le mena » dit le poème « La joie du mort ». La facture assez traditionnelle – si l'on peut dire – de ce recueil oscille entre le caractère inéluctable de la fin et l'étrange séduction qu'elle fait naître par l'analogie et la double vue : « La plaine plantée de stèles / aux bouches voluptueuses, / à perte de vue beauté / fêlée ». Le poète est toujours au bord, en équilibre instable « Rêvant encore de chanter / au-delà des terribles monts ». « Heureux ceux qui reposent en des tombes liquides », écrit l'Amiral.
D'aucuns pourraient juger tout ceci un peu trop facile, on ne saurait le leur reprocher – ni le leur expliquer. Mais il n'est pas vain de jeter un œil sur ces lignes, pour tenter d'apprécier encore une étrange saveur qui perdure vaille que vaille chez les derniers représentants du surréalisme. Il convient de le faire avant qu'il ne soit trop tard, sans snobisme mais avec exigence. Après, viendra enfin l'oubli – ou la renaissance.
Guy Cabanel, L'Ivresse des tombes et Hommage à l'Amiral Leblanc, Ab Irato (2011 et 2009), (site de l’éditeur)
[Samuel Macaigne]