Mon travail se développe depuis
quelques années comme une suite sans terme de tableaux similaires représentant
inlassablement des vues ou des fragments d’un paysage urbain. Chacun d’eux
manifeste un certain arrangement des choses sur la toile, un élément bâti
perçant souvent le paysage de sa géométrie. Ce qui me retient et me fascine,
c’est comment cet arrangement des choses sous le regard -l’angle d’un mur, le délimité d’un parking à travers une haie-
soudain fait image et dresse une présence à la fois familière et énigmatique,
insistante et muette. La peinture à travers son histoire, celle de la Véronique et des faces byzantines,
des empreintes et des portraits, est l’objet de l’incarnation d’un mystère en
une image éloquente. Et dans mon travail, les deux se confondent : ces
paysages qui appellent l’image par la présence qu’ils manifestent, et l’image
comme lieu d’incarnation de cette présence : je souhaite que mes tableaux
soient des images dressées dans lesquelles des pans de murs se lèvent comme des
figures.
Il m’est souvent apparu que le
paysage, délaissant son rôle ordinaire de décor de fond, vienne au devant de
nous se signifier ou se révéler comme le
sujet même alors que nous n’étions que silhouettes transitoires. Impression
que les photographies anciennes, si longues à capturer l’image des choses,
mettaient en évidence ne laissant voir des passants que nous sommes que
quelques silhouettes fantomatiques tandis que la ville derrière affirmait la
compacité de ses volumes et ses ombres. Dans ces instants, le paysage est
semblable aux œuvres d’art qui nous accompagnent, nous épaulent et nous
survivent semblant abolir l’espace et le temps dans une immobilité pleine
d’indifférence.
Pour cette exposition, j’ai voulu
dresser de part et d’autres, sous la grande verrière, deux toiles,
imperturbables au tumulte et à la foule, en dialogue comme pourraient l’être
deux menhirs ou deux colosses de l’île de Pacques, comme deux cyclopes se
renvoyant l’image retournée d’un fragment du monde quelque soit leur éloignement
dans l’espace et le temps, deux présences robustes.