La présidence normale. C’est sous ce slogan que François Hollande a fait son entrée en campagne et qu’il continue, depuis, à qualifier sa candidature. L’expression détone, étonne, provoque, attire les sarcasmes de la droite. C’est absolument logique : elle met au grand jour le rapport particulier, et à mon sens malsain, que les Français ont progressivement développé à l’égard de la présidence de la République.
L’élection du président au suffrage universel est en effet bâtie sur un mensonge. On la présente comme le plus grand moment de démocratie de la vie politique française, le moment où le citoyen peut se prononcer directement sur celui qui va diriger et représenter le pays. Elle est au contraire, dans les faits, un moment d’infantilisation et de réduction du débat public : fondamentalement, parce qu’elle réinstaure le pouvoir et la prééminence d’un individu en tant que tel au-dessus des autres citoyens ; latéralement, parce qu’elle accentue comme jamais le primat des personnes sur les idées, la tentation de la démagogie, et la course aux promesses qu’on ne tient pas.
Par cette élection, le peuple qui s’était débarrassé de ses rois et avait élevé l’égalité au rang de devise s’est redonné à la fois un chef, et le mythe fasciné de sa supériorité. Il n’y a qu’à écouter le jargon journalistico-politique concernant le locataire de l’Elysée, qui renvoie systématiquement à une sorte de sacralité. « Présidentialisation », « rareté de la parole présidentielle », « être en situation », « rencontre avec le pays » … Tout ce vocabulaire accrédite insidieusement l’idée d’un statut à part de cet élu de la République, dont la désignation semble plus, au bout du compte, l’accomplissement inexorable d’une destinée ou d’un processus mystique, que le banal produit de l’agrégation de quelques dizaines de millions de bulletins de vote.
Dans ce contexte, défendre, au contraire, la normalité de la charge présidentielle (pas au sens de norme imposée aux autres, mais de sortie du régime d’exception qui prévalait tacitement jusque là) est une provocation frontale – et courageuse. Comme révéler que le roi est nu alors que l’on s’apprête à devenir roi. C’est un des éléments qui m’ont convaincu de voter pour François Hollande lors des prochaines primaires citoyennes. J’y vois à la fois une marque de respect envers les citoyens, et l’ébauche d’un nouveau rapport entre ces derniers et la politique. C’est surtout une rupture avec le mythe fondateur du sarkozysme, celui de l’homme providentiel suractif, seul maître à bord, qui, des ses seuls petits bras musclés, va chercher la croissance ou renverser une conjoncture internationale. Revendiquer une présidence normale, c’est refaire du président un « simple » primus inter pares et ouvrir la voie à une façon de gouverner plus partagée, délibérative, respectueuse des corps intermédiaires. Un président hors-norme n’a que faire des avis de l’opposition, des syndicats, voire de la population : qui pourrait négocier avec un élu par définition au-dessus du lot commun, et investi d’un pouvoir unique ? Un président normal redevient au contraire un rouage, certes essentiel, mais un rouage, dans le jeu des institutions.
Dans cette perspective, l’humour compte. Un ancien premier ministre socialiste avait jadis affublé François Hollande du sobriquet de « Monsieur petite blague », qualificatif visiblement considéré comme le comble de la déconsidération pour un responsable politique aspirant aux plus hautes fonctions. Trait d’esprit révélateur s’il en est : pour son auteur, le président est celui qui ne rit pas. Il faut à tout prix maintenir le mythe du monarque marmoréen, statue du commandeur impassible au-dessus de la mêlée … et donc des Français. Cette conception du président de la République, que certains essaient de nous vendre contre Sarkozy (rétablir la dignité élyséenne qu’aurait bafoué l’homme du cass’ toi pov’ con), ne vaut pourtant à mes yeux guère mieux. C’est l’envers et l’avers d’une même pièce : d’un côté, la majesté gaullo-mitterrandienne qui toise et surplombe ; de l’autre, l’omniprésident sarkozien qui domine et écrase. Il est grand temps de sortir de cette alternative et de désintoxiquer les Français de cette monarchie light qui a deux siècles de retard.
Un président de gauche, un président normal : humble, humain, avec de l’humour, pour laïciser l’Elysée et traiter les citoyens comme des adultes, des égaux, et non plus comme des sujets ou des gogos. « Ni Dieu, ni maître, ni césar, ni tribun » : chiche ?
Romain Pigenel