Clout
Klout s'impose comme l'instrument de mesure de l'influence (1), mais à l'instar de Yann Gourvennec (Klout mesure-t-il l'influence ou la capacité à influencer Klout ?) nombreux sont ceux qui s'interrogent sur la validité d'un indicateur qui semble varier de manière trop prononcée en fonction de l'activité. Les semaines de vacances ont fait de gros trous dans de nombreux ego.
C'est l'occasion de revenir sur la question générale de la mesure de la performance. Dans le cas de Klout ce qui est mesuré assurément ce sont les conséquences de l'activité : les mentions, les retweet, les partages, les likes, tout ce fratras et cette agitation qui caractérise les réseaux sociaux. Il va de soi que plus on est actif et plus on fait de bruit.
Les record(wo)men du klout sont ceux qui s'agitent non stop. A moins de 50 twits par jour, ce n'est pas la peine d'espérer figurer dans un top 300 quelconque. De ce point de vue, Yann a raison, Klout mesure la capacité que l'on a à l'influencer. Et même de ce point de vue, il y a des questions qui se posent. Les adresses raccourcies qui signalent un post sont-elle identifiées comme le fait Topsy, et attribuées à son auteur? La foule des curateurs se repait d'un contenu qu'elle n'a pas créé et gagne les points précieux du klout system. L'influence de Lady Gaga (K=92) sur la musique est-t-elle plus importante que celle de Timbaland (K=73)?
Mais cela n'explique pas le trou de l'été, l'explication est beaucoup plus simple. Formulons la sous la forme d'une hypothèse : Klout très certainement utilise un modèle de lissage exponentiel et très probablement a donné un poids trop faible au paramètre λ du modèle :
- Ki'(t) = λKi'(t-1)+(1-λ)A(t) avec Ki'(t) : l'estimation de l'influence de i à t-1 et Ai(t) l'activité dérivée par i en t - autrement dit l'influence aujourd'hui dépend pour une part de l'activité induite immédiatement observée et de l'influence calculée dans le passé.
Cette formule par récurrence, très simple est largement employée, y compris en marketing. Pour la petite histoire voici un texte de Little de 1965 qui en analyse l'usage pour la promotion des ventes, modèle utilisé d'ailleurs plus tard pour mesurer la fidélité des consommateurs. On s'amusera à redécouvrir qu'il n'y avait besoin ni de traitement de texte, ni d'ordinateur, ni d'internet pour modéliser !!!
Une image valant pour beaucoup plus qu'un mot, voici ce que celà donne pour un twittos dont l'influence grandit de manière linéaire, et qui suspend tout activité pendant quelques périodes (il reprend ensuite au niveau où il s'est arrêté simplement en mobilisant à nouveau le réseau qu'il a accumulé) et pour deux valeurs du λ. La ligne en jaune colle à l'activité immédiate, celle en rouge atténue les aléas et "résiste" au creux de l'activité.
Le choix de Klout peut cependant se justifier dans la mesure où l'influence dans les réseaux est un processus sans mémoire. On relaye les messages qui ont une valeur dans l'immédiat et il est peu probable que la simple signature de son émetteur en assure la réémission. Autrement dit, une véritable mesure de l'influence devrait faire varier ce paramètre λ pour chacun des agents de manière à prendre en compte l'influence de l'activité passée sur l'activité future de son réseau. En ajustant le modèle individu par individu. Le λi mesurerait alors l'influence véritable.
Pour revenir à la question fondamentale, ce n'est pas l'activité dérivée d'une activité principale qui mesure la performance, mais la relation entre l'effort et le résultat. Une bonne mesure de performance devrait se rapporter au rapport relatif de l'activité sur les réseaux sociaux et de ses conséquences. Il faudrait mesurer une élasticité : le rapport de la variation de l'effort de communication et de la variation des effets de Buzz. Cette mesure distinguerait ceux qui exercent effectivement une influence, de ceux qui jouissent simplement d'effets d'échelles (en général, le nombre de followers résulte plus du following mécanisés que du magnétisme du twittos quand les échelles se comptent en milliers).
Pour conclure, le véritable souci avec Klout n'est pas véritablement dans le choix du modèle, mais plutôt dans ce cancer qui pourrit toutes les agences de notation : le conflit d'intérêt. L'objectif pour Klout est clairement de rassembler la base de données la plus vaste possible, et les mécanismes employées sont moins des mesures objectives de performance qu'un système de motivation et d'incitation. La note n'a pas d'autre rôle que de flatter - ou de vexer - les ego, afin de les encourager à produire plus. Elle joue aussi des instincts les plus bas : la jalousie et l'envie.
Il n'est pas de saine compétition sans un juge irréprochable. On peut discuter la constitution des indicateurs, leur base d'observation et les choix de modèles, on doit rester attentif à ce que l'on veut mesurer ( qu'est-ce que l'influence?), mais avant tout un bon instrument de mesure doit échapper au conflit d'intérêt. Le doute que l'on peut avoir sur Klout et ses consorts est que le calcul des scores soit indépendant de leurs stratégies de croissance. Dans la mesure où les incitations produites encouragent les twittos à améliorer leur score, ce doute devient majeur. Klout ne mesurerait alors que la capacité à influencer l'influence mesurée, pire il mesure le conformisme des agents, le degré avec lequel les agents se plient à la norme d'influence qu'il a établi.
(1) Ets-il besoin de rappeler que "clout" signifie "influence" en anglais?
PS : il faudrait aussi ajouter pour Klout, que le score n'est pas une métrique comme les autres, il reflète une distribution, le score indique en réalité si l'on appartient au 0,1%, 1% , 10% etc les plus "influents". Un score de 50 correspond en fait au 10% les plus "influents".
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