Dans les premières pages de son merveilleux et déconcertant livre La vue et la vitesse, l’écrivain samoan Albert Hanover relate la commotion que lui causa sa première visite au Victoria and Albert Museum de Londres en été de 1991. Encore désorienté comme conséquence du temps hors des horloges qu’il passa dans les salles de falsifications à taille réelles de l’Antiquité, Moyen Age et Renaissance, il décida avant de sortir du bâtiment de parcourir une grand partie des ses nombreux kilomètres, laissant derrière lui progressivement les sculptures chinoises, un patio halluciné, reliquaires, émailles, ivoires et tailles médiévales, retables gothique tardif, reliefs de Donatello, chambres de William Morris, livres de Beatrix Potter … aux pièces dédiées à Frank Lloyd Wright, qui l’avait tant marqué indirectement quelques années avant.
Juste avant d’y arriver, il fut surprit par une affiche qui annonçait une exposition temporelle, pleine de dessins, tableaux et maquettes, dédiée à l’aspect le plus visionnaire de l’œuvre de Karl Friedrich Schinkel (1781-1841), le grand architecte et designer prussien. Il sentit que quelque chose sur l’affiche l’appelait de façon irrésistible, depuis un lieu qu’il ne pouvait pas situer. Il n’était pas rare qu’il sente ce genre de chants de sirène, spécialement depuis qu’une nuit, ivre, en traversant Oxford Street il fut frappé à la tête par un bus à deux étages de la ligne numéro 12 dont le chauffeur n’eut pas le temps de freiner suffisamment pour éviter la collision avec Hanover. Même si ce matin là il pensa que si il s’endormait il ne se réveillerait jamais, par miracle il n’eut rien de grave, sauf la perte de mémoire de certaines parties de sa vie suivant un patron apparemment aléatoire qui n’obéissait pas à la chronologie mais plutôt à la thématique, et d’autre part il avait la sensation de se souvenir de certaines choses avec une intensité inhabituelle, avec beaucoup de détails.
Observant l’œuvre de Schinkel, ce prodigieux architecte qui refusa sont entré dans la noblesse et qui n’a jamais eut de maison propre, Hanover, qui avait vécu à Berlin brièvement lorsqu’il était petit, eut la certitude qu’il devait connaitre tous ces splendides bâtiments aux proportions parfaites (le temple de Pomona, le théâtre de Gendarmenmart, l’Altes Museum de Lustgarden, l’église de Friedschwerder, où se trouve le musée Schinkel : http://www.smb.museum/smb/sammlungen/details.php?objectId=19–el , le Monument Kreuzberg …), mais sa partie consciente était incapable de s’en souvenir. Cependant il s’est souvenu immédiatement en les voyants, les designs de Schinkel pour la scénographie de La Flute enchantée de Mozart et comment l’amante de sa mère lui les montraient encore et encore dans un livre ancien à la couverture jaune, les dimanches après midi en lui racontant doucement l’histoire de la Reine de la Nuit et les deux écoutait cette musique qui venait comme d’un autre monde, de l’autre coté de la pluie et des grandes fenêtres hollandaises de sa maison.
Paul Oilzum