Nous fêtons donc en ce 30 Août le bicentenaire de la naissance de Théophile Gautier. Ceux qui ont parcouru ma présentation ont pu lire ces vers du Maitre, issus de Emaux et Camées :
A l’Idéal ouvre ton âme ;
Mets dans ton coeur beaucoup de ciel,
Aime une nue, aime une femme,
Mais aime ! – C’est l’essentiel !
Les livres ont une place débordante dans ma vie, ce n’est pas un secret, une place charnelle même. J’ai une relation privilégiée avec certains auteurs (vous avez déjà pu le constater avec Philip K Dick) , je ne vais pas les lister, ce serait trop long, mais parmi tous Théophile Gautier a une place privilégiée dans mon coeur, il est devenu ce bon vieux Théo.
Je vous laisse lire l’introduction dans la revue Europe (Mai 1979) lui étant consacrée :
Baudelaire dédicaçait en ces termes en fait les fleurs du mal : Au parfait magicien ès lettres françaises, à mon très cher et très vénéré maître et ami.
J’ai essayé de convaincre cette année des illustrateurs de croquer quelques extraits de texte pour redonner envie de lire le maître, non pas qu’il soit inconnu mais il est devenu méconnu… malheureusement l’auteur a suscité peu d’echos et le projet n’a pas abouti. Je pourrais écrire pendant des heures sur sa vie, ses livres… je ne vais pas plus vous ennuyer et plutôt que de faire un hommage classique je vais vous proposer quelques bouts de textes que je trouve de circonstances.
(illustration de couverture de Feuilles d’automne de Hugo, Gautier accoudé à l’âtre)
Un peu de gaudriole joyeuse pour débuter, car en plus d’avoir écrit le sublime Capitaine Fracasse magnifiquement illustré par Doré (j’ai photographié les illus ici) ou encore le Roman de la Momie, d’avoir écrit l’histoire romantique du ballet Gisèle (que j’ai pu apprécié au ballet de Budapest cette année), moins que Pierre Louys, Gautier a écrit quelques textes d’une gaudriole joyeuse, un poème l’ayant fait passé à la postérité en chanson paillarde, devenu de profundis morpionibus…
Cent mille poux de forte taille
Sur la motte ont livré bataille
À nombre égal de morpions
Portant écus et morions.Transpercé, malgré sa cuirasse
Faite d’une écaille de crasse,
Le capitaine Morpion
Est tombé mort au bord du con.En vain la foule désolée,
Pour lui dresser un mausolée,
Pendant huit jours chercha son corps…
L’abîme ne rend pas les morts !II
Un soir, au bord de la ravine,
Ruisselant de foutre et d’urine,
On vit un fantôme tout nu
À cheval sur un poil de cu.C’était l’ombre du capitaine,
Dont la carcasse de vers pleine,
Par défaut d’inhumation,
Sentait la marolle et l’arpion.Devant cette ombre qui murmure,
Triste, faute de sépulture,
Tous les morpions font serment
De lui dresser un monument.III
On l’a recouvert d’une toile
Où de l’honneur brille l’étoile,
Comme au convoi d’un général
Ou d’un garde national.Son cheval à pied l’accompagne
Quatre morpions grands d’Espagne,
La larme à l’œil, l’écharpe au bras,
Tiennent les quatre coins du drap.On lui bâtit un cénotaphe
Où l’on grava cette épitaphe
« Ci-gît un morpion de cœur,
Mort vaillamment au champ d’honneur. »
On se souvient souvent du recueil Emaux et Camées, très léché, mais j’aime beaucoup ses poésies écrites bien plus jeunes, comme le truculent La Comédie de la Mort, où l’on découvre le dialogue entre une trépassée et un ver :
(…)La Trépassée.
Quel est donc ce baiser humide et sans haleine ?
Cette bouche sans lèvre, est-ce une bouche humaine ?
Est-ce un baiser vivant ?
Ô prodige ! à ma droite, à ma gauche, personne.
Mes os craquent d’ horreur, toute ma chair frissonne
Comme un tremble au grand vent.Le Ver.
Ce baiser, c’ est le mien : je suis le ver de terre ;
Je viens pour accomplir le solennel mystère.
J’ entre en possession.
Me voilà ton époux, je te serai fidèle.
Le hibou tout joyeux fouettant l’ air de son aile
Chante notre union.
Plus loin, un passage qui fait s’interroger sur l’impermanence de la société et un koan sur la VIE :
La mort est multiforme, elle change de masque
Et d’habit plus souvent qu’une actrice fantasque ;
Elle sait se farder,
Et ce n’est pas toujours cette maigre carcasse,
Qui vous montre les dents et vous fait la grimace
Horrible à regarder.Ses sujets ne sont pas tous dans le cimetière,
Ils ne dorment pas tous sur des chevets de pierre
À l’ombre des arceaux ;
Tous ne sont pas vêtus de la pâle livrée,
Et la porte sur tous n’est pas encor murée
Dans la nuit des caveaux.Il est des trépassés de diverse nature :
Aux uns la puanteur avec la pourriture,
Le palpable néant,
L’horreur et le dégoût, l’ombre profonde et noire
Et le cercueil avide entr’ouvrant sa mâchoire
Comme un monstre béant ;Aux autres, que l’on voit sans qu’on s’en épouvante
Passer et repasser dans la cité vivante
Sous leur linceul de chair,
L’invisible néant, la mort intérieure
Que personne ne sait, que personne ne pleure,
Même votre plus cher.
Cela me fait penser à la préface des Jeune France, j’avais d’ailleurs sous titré mon fanzine littéraire en hommage.
Ma vie a été la plus commune et la plus bourgeoise du monde : pas le plus petit évènement n’en coupe la monotonie; c’est au point que je n’en sais jamais l’année, le mois, le jour ou l’heure. En effet, he! qu’importe?1833 ne sera-t-il pas semblable à 1832? hier n’a-t-il pas été comme aujourd’hui, et comme sera demain ? Qu’il soit matin ou soir, n’est-ce pas la même chose ? Manger, boire, dormir; dormir , boire, manger ; aller de son fauteuil à son lit, de son lit à son fauteuil, sans souvenir de la veille, sans projet pour demain ; vivre à l’heure , à la minute, à la seconde, cramponné au moment comme un vieillard qui n’a plus qu’un moment : voilà où j’en suis arrivé, et j’ai vingt ans ! Pourtant j’ai un coeur et des passions, j’ai de l’imagination autant et plus qu’un autre, peut-être. Mais, que voulez-vous ! je n’ai pas assez d’énergie pour secouer cela ; comme tout vieux garçon, j’ai une servante-maîtresse qui me domine, et fait de moi ce qu’elle veut : c’est l’habitude.
(en cadeau Mademoiselle de Maupin dessinée par Théophile Gautier, il y a un air de ressemblance non ?)
Vous pourrez me croiser au cimetière de Montmartre, déclamer quelques textes. Je vous invite en ce bicentenaire à (re)découvrir l’oeuvre du maitre, il y en a pour tous les goûts.