Requin du matin, chagrin

Alerte aux requins ! On en trouve même à Saint-Tropez, dans le nord de la France, sur les côtes méridionales de la Russie, en Méditerranée, nous apprend France Inter. La psychose "Dents de la mer" fait rage (de dents, arf !), plus de 40 ans après la sortie du film culte. Bizarrement, comme pour le chikungunya, les requins attaquent partout, dans la zone des Mascareignes (deux attaques mortelles aux Seychelles, des alertes quasi-quotidiennes à la Réunion), sauf à l'île Maurice.
Ils sont trop forts, ces Mauriciens. Bon, Mada, tout le monde s'en fout, si ça se trouve il y a dix attaques de requins blancs par jour, filmées par des touristes américains ou créoles, du moment que ce n'est pas un Vahaza qui est boulotté...
Etrangement, les signataires d'une ancienne pétition contre l'usage des chiens-appâts pour pêcher le requin à la Réunion sont très discrets ces temps-ci. La peur de la rage de dents sans doute.
J'ai le souvenir d'avoir vu un aileron. Il y a trois decennies, du côté de Trois-Bassins. Un drôle de triangle noir, qui traçait la mer sale à une trentaine de mètres, dans les vagues qui se suicidaient sur les déchiquetis de roches, noires aussi.
C'était en fin d'après-midi. J'ai eu très peur. Une peur glacée. Le sang qui se retire des jambes, comme pour se prémunir d'un appétit hémoglobinique. On a observé longtemps l'aileron noir, qui se traînait à l'orée du déroulé des vagues. Une balade de fin d'après-midi.
Il n'y a pas eu un article dans les journaux. Pas une réunion en sous préfecture. Pas un plagiat de Zinfos 974 -qui a une excuse, à l'époque, il n'y avait pas internet. Une autre époque. Pas un mot, nulle part. Pas un mort, non plus.
Le lendemain, on se remettait dans l'eau. Ca devait être en août. L'eau était glacée. Je n'ai plus jamais vu un aileron de requin.

François GILLET