Lors de son discours de clôture à Grenoble, Jean-Luc Mélenchon estime « qu’il n’y a pas de victoire possible en 2012 sans rassemblement». Une nouvelle gauche plurielle, est-ce possible ? Pas si sûr...
Après avoir consacré une table ronde sur les leçons de 1981, le Parti de gauche s’annonce, sans le cacher, comme un héritier des années Mitterrand. Le seul président de gauche de la Ve République inspire à Jean-Luc Mélenchon et ses troupes quelques idées, comme l’union de la gauche avec le PCF en tremplin électoral. Certains s’inclinent devant ses mesures devenues symboliques, l’abolition de la peine de mort, la cinquième semaine de congés payés, la création de l’ISF, etc. Ce mitterandisme apparaît, en fait, assez unique dans le paysage de la gauche radicale. C’est un trait unanimement partagé par les socialistes, c’est loin d’être le cas chez les anticapitalistes. Lutte Ouvrière accuse même M. Mélenchon de vouloir répéter avec le PCF le tour de force de Mitterrand dans les années 1970, dupant la classe ouvrière par un vote qui se revendiquait populaire, mais demeurait au service de la classe bourgeoise... Yvan Lemaitre du NPA avait ces mots très durs : " Mélenchon, loin d’être son sauveur (nda : du PCF), refait le coup de son mentor, Mitterrand, une OPA qui n’a d’autre objectif que de servir ses ambitions personnelles ".
Si le président du Parti de gauche se tourne plus vers Mitterrand que Lénine, ce n’est pas la seule chose qui le distingue des autres organisations de la gauche de la gauche. Repérons tout de suite deux blocs : un premier, aujourd’hui presque entièrement reconstitué dans le Front de gauche, est un bloc républicain, socialiste, antilibéral. Il est surtout représenté par le PCF, notamment depuis l’abandon de la dictature du prolétariat au XXIIe congrès en 1976 et surtout, des concepts marxistes-léninistes en mars 2000, au XXXe congrès (Martigues). Même s’il était contesté dans ce rôle par des groupes situé à sa gauche (essentiellement trotskystes) dans les années 1970, il a depuis longtemps cessé, au XXIe siècle, d’incarner le profil du parti révolutionnaire. Bien qu’il se prononce toujours pour une «transformation sociale», son anticapitalisme s’inscrit désormais dans les bornes du régime républicain. C’est le résultat de longues concessions accordées aux intellectuels qui l’ont combattu depuis L’Archipel du Goulag jusqu’à la chute du Mur de Berlin. Ces concessions ne satisfont pas aujourd’hui une partie de ses militants, pour certains encore attachés aux doctrines léninistes de la révolution.
Le PG et le PCF se distinguent ainsi de partis comme le NPA (Nouveau parti anticapitaliste), LO (Lutte Ouvrière) ou le POI (Parti ouvrier indépendant). On ne retient plus la distinction entre réformistes et révolutionnaires, d’abord parce qu’elle atténue les réelles divergences, tant sur le fond que sur la stratégie politique, entre des forces comme le Parti socialiste et le Front de gauche, ensuite parce ces trois partis hésitent, le NPA le premier, à se revendiquer ouvertement des idiomes révolutionnaires - un vocabulaire bolchévique qui, il faut en convenir, ne fait plus florès. Ce qui les distingue du Front de gauche, c’est qu’ils ne considèrent pas la République comme un horizon indépassable. Pour eux, la transformation révolutionnaire implique souvent une transformation en profondeur de la société - donc un changement de régime. La participation aux élections républicaine est pour eux plus une tribune qu’une conquête du pouvoir.
Pourtant, combien de fois les militants de la gauche radicale marchent ensemble dans les manifestations ? Combien de fois ont-ils combattu séparément au cours des élections, alors que leurs programmes sont étonnamment similaires ? L’historien Roger Martelli considère d’ailleurs que la gauche radicale doit être vue comme «un pôle d’attractivité», qui agrège à lui des forces dont le plus petit dénominateur commun est l’antilibéralisme. Il faut surtout tenir compte de l’hétérogénéité des adhérents de chacune de ces organisations. Le PCF se réduit par exemple difficilement à des définitions d’ensemble, et il y a un pas entre les stratégies de sa direction et les mouvements contradictoires qui animent sa base. Ainsi, si le Front de gauche est retenue aujourd’hui comme «la meilleure des solutions possibles» pour les dirigeants communistes, l’engagement n’est pas encore complet : dès que s’annonce la bataille pour conserver ses élus, le Parti communiste montre son intransigeance.
Mais la principale ligne de faille concerne les relations entretenues avec le Parti socialiste. Existe-t-il véritablement une deuxième gauche ? Nombre de militants, sincères, de ce bord politique, réfutent purement et simplement cette analyse, préférant considérer qu’il n’y a qu’une seule gauche. En revanche, militants et sympathisants du NPA ou de Lutte Ouvrière considèrent presque comme une infamie toute alliance avec les socialistes. Il est hors de question, pour eux, d’envisager une participation ou même un soutien au PS, qu’ils jugent acquis au libéralisme. Le PS n’est, pour eux, pas vraiment la gauche : les expériences gouvernementales, notamment celle de 1997, leur ont laissé un goût amer, avec les privatisations qui s’y sont déroulés.
Faut-il voir dans l’approche de Jean-Luc Mélenchon, qui « respecte la démarche des primaires », appelle au « débat avec les socialistes », une esquisse de gauche plurielle ? Est-il homme à courir après un poste de ministre ? Peut-être. Mais c’est aussi un autre signe que nous envoie le Front de gauche. Enragé d’être délaissé au profit des écologistes, qu’il estime pourtant avoir battu aux dernières élections, Jean-Luc Mélenchon veut prendre le plus de place possible à gauche. Et il a cessé de considérer le NPA comme une concurrence.