Un mot rapide pour comprendre un peu de quoi il s’agit. La systémique a été créée il y a de cela une cinquantaine d’années par Gregory Bateson, anthropologue américain qui fut l’un des fondateurs de la célèbre école de Palo Alto et un des participants des conférences Macy. La systémique part de l’idée que pour intervenir efficacement pour un individu il est nécessaire de comprendre dans quel système il interagit, et donc quels sont ses liens avec son environnement, notamment humain. Pour cette raison, la systémique se penche beaucoup sur la communication (voir à ce sujet les ouvrages de Bateson et aussi de Paul Watzlawick). En résumé, la systémique traite des situations et non des personnes.
La systémique est très utilisée en matière de thérapie familiale, justement parce qu’elle peut alors traiter un système, la famille, là où d’autres approches ne savent traiter les individus « que » de façon isolée. On verra ultérieurement ici que ses principes sont également très applicables au cas des entreprises, en particulier lorsqu’il s’agit de traiter des risques psychosociaux.
Une des choses qui m’a marqué durant cette formation est l’éclairage très juste que propose la systémique sur l’utilisation des boucs émissaires, et d’une façon plus générale sur les méthodes que nous mettons en œuvre pour faire diversion face à nos problèmes. Je reprends ici l’exemple vu lors de la formation.
Un couple contacte le thérapeute au sujet de sa fille de 6 ans : depuis 2 à 3 ans, elle fait des insomnies. Le couple, inquiet, a « tout tenté », mais rien n’a permis de résoudre le problème. Le thérapeute systémicien comprend déjà qu’il y a un loup. Le couple a tout tenté ? Il renverse la proposition et se pose la question suivante : quelles sont les moyens que le couple a mis en œuvre pour réussir à échouer dans toutes ses tentatives ?
Pour être parfaitement clair il faut le dire encore autrement : si rien n’a marché c’est probablement qu’il n’y avait pas de volonté réelle de résoudre ce problème, et que les « solutions » envisagées jusque-là n'en étaient pas et ne servaient en réalité qu’à faire perdurer la situation. Et si l’objectif (peu importe qu’il soit conscient ou inconscient) est que la situation perdure, c’est que celle-ci présente un avantage qu’il s’agit de découvrir.
On comprend tout de suite que la fille n’est guère en mesure de s’utiliser elle-même pour un profit caché (je vais un peu vite, ça peut ne pas être toujours tout à fait aussi simple). Ce sont donc les parents qui ont un intérêt à ce que le problème de leur fille perdure. On découvre alors que les insomnies de la fille camouflent en réalité un problème qui les concerne eux, mais qu’ils n’ont pas le courage d’affronter. Le thérapeute, peu avare lorsqu'il s'agit de bousculer et de renverser la vapeur, demande à la fille devant ses parents : "pourquoi m'as-tu amené tes parents ?". La fille donne alors la solution du problème, de façon lumineuse : "parce que papa il a une deuxième maman". On comprend d'un coup que le « problème » de la fille sert en fait à cacher celui des parents, le seul qui nécessite un travail particulier. Leur fille a donc joué le rôle de bouc émissaire, sagement, pendant des années, leur évitant ainsi de se pencher sur leurs difficultés de couple. Elle leur a permis de faire diversion : « ce n’est pas nous, c’est elle ».
Ce schéma de diversion, je le retrouve d’une certaine façon dans l’affaire DSK. Pourquoi ? J’ai été très surpris du traitement de toute l’affaire, et notamment des réactions en France. Surtout après que le non-lieu fut prononcé. En France, politiques et médias, surtout au PS, se sont empressés de dire leur soulagement, voir leur bonheur à apprendre cet épilogue. Je n’ai pu m’empêcher pour ma part de faire le parallèle avec l’affaire Lewinsky qui avait impliqué Clinton à l’époque où il était locataire de la maison blanche. Il n’était pas question de viol, mais de deux autres choses : les mœurs dissolues du président US, et le mensonge qui fut le sien dans ses premières réactions à cette affaire. C’est sur ces points que Clinton a dû s’expliquer, qu’il a dû faire amende honorable auprès des citoyens américains.
Imagine-t-on un peu la stupéfaction des américains, sans parler de celle des anglais (lien article du Guardian via article de koz), en voyant que dans nos réactions, nous français, ne semblons envisager que le volet pénal de l’affaire, et non les autres implications que ce cas soulève ? Quelle est l’image que nous véhiculons à l’extérieur de nos frontières à travers ces réactions de célébrations ? Sont-elles bien responsables ?
DSK, avec ce non-lieu, dispose d’un moyen de diversion important au vrai sujet qui le concerne : le déséquilibre de ses mœurs sexuelles. On notera tout de même que cette diversion semble ne pas tant fonctionner que cela vis- à-vis de l’opinion publique qui rejette majoritairement son retour dans le débat politique. Mais les leaders PS ont tort d’en faire fi et de marcher à plein dans la diversion. Car à mes yeux il y avait un autre sujet derrière l’arbre DSK : celui des mœurs des politiques français en général. Il n’a pas été tout à fait étouffé, on l’a vu avec l’affaire concernant Georges Tron. Un début de débat a eu lieu, relayé par les médias. Je trouverais simplement dommage, parce que l’affaire DSK se clôt, que ce sujet-là, qui mérite bien plus d’être traité que celui des dérives d’une seule personne, soit passé par pertes et profits.
Photo récupérée sur Paradoxa, en illustration de cet article sur l'utilisation de la systémique en thérapie familiale, que je conseille.