Anthologie permanente : Marie Etienne

Par Florence Trocmé

Rappel : Marie Etienne a publié trois livres au printemps 2011 : Les Yeux fermés ou les Variations Bergman et Haute lice, l'un et l'autre aux éditions José Corti ainsi que Le Livre des recels, chez Flammarion.
4.
Soif du mythe et passion pour les contes, tout ce qui fonde, car ce qu'on peut saisir (voler, comprendre), c'est ce qui est obscur. Le monde est imparfait, au verbe créateur revient le soin et le devoir de réparer, de compléter.
5.
Ce qui n'est pas incompatible, non pas du tout, avec la soif de connaissance et de compréhension. On peut imaginer que souhaiter le sens, c'est exprimer sa nostalgie de la totalité. Nous reste à respecter l'inconnaissable et accueillir en le cernant, l'organisant, ce qui reste accessible à notre entendement.
On prétend méchamment que le tourment de Valéry a été d'arriver à connaître, sans pénétrer ni déchiffrer. N'est-ce pas son honneur ?
6.
Rejet du réalisme, du quotidien comme banal, bon sens. À savoir regarder, le quotidien est tout à fait irréaliste. Il suffit de noter (ce que j'ai fait pendant des mois, pour fournir la chronique d'un préposé aux écritures - inédite).
Si la littérature est (ou doit être) une entreprise de vérité, un acheminement vers elle, la poésie est pour ce faire le chemin le plus sûr, sinon le plus rapide.
Marie Etienne, Le livre des recels, cinquième partie, " Le Futur du passé ", " Le voyage intérieur ", " Scènes de la vie en prose ", " du vrai, du mythe ", 11 notes, Flammarion, 2011, p. 262.
Examen de conscience

Ai-je démérité ? Oui, je sais, j'ai casé dans ma tête, alignés proprement, un miroir d'autrefois, des rayonnages itinérants et noirs, un tableau qui s'effondre en perçant une table, un, une, un, une.
À mesure que ça entre, je me dis " c'est fini, la place va manquer, l'invasion cessera d'elle-même ". Et pourtant non, ça entre encore, ça chasse même ce qui gêne, d'autres objets, plus souvent l'important, repères, mots de passe ou intentions d'amour.
J'ai d'autres maladies que les bibliothèques, que je récapitule, jour après jour - dégâts du corps, du cadre. Je me munis du nécessaire, j'achète de l'enduit, de la peinture, des clous. Et je rénove.
Marie Etienne, Haute lice, José Corti, 2011, p. 149
[...]
Quand la nuit est tombée, nous retournons à la vitrine sous les arcades, vivre encore, s'il se peut, le miracle, en retrouver les conditions originelles, la nuit prégnante, et l'appel lumineux sous l'arcade.
Bien nous en prend, tout est pareil, l'obscurité du soir s'oppose à la lumière de la vitrine, diffère seul le paysage découvert le matin de la veille, par les trouées rectangulaires pratiquées dans les murs du tableau. Au lieu des monts et du moutonnement des cimes, je découvre des vagues, crêtées de neige et vallonnées, un infini remplace l'autre, la mer a envahi la terre.
Qu'est-ce que la création se demande Bergman : " Une terre chaude et sale sous un ciel froid et vide ? ".
Nous nous le demandons aussi. La lanterne qu'on promène avec soi est magique, sa lumière est la nôtre.
Marie Etienne, Les Yeux fermés ou Les Variations Bergman, coll. en lisant en écrivant, José Corti, 2011, p. 62
Marie Etienne dans Poezibao :
bio-bibliographie, extrait 1, aux 20 ans du Nouveau Recueil, extrait 2 (Anatolie), extrait 3, atelier de traduction Maison des Ecrivains(2/06), extrait 3, fiche de lecture de Dormans, extrait 4, un entretien avec Jean-Baptiste Para, ext. 5, Le Livre des recels (C. Esteban)