Ne bouge pas ! Ce n’est pas le titre d’un roman policier, contrairement à ce qu’on pourrait croire ; il renvoie plutôt à l’injonction du photographe qui, sur le point d’appuyer sur le déclencheur, craint le flou. De fait, Jean-Louis Giovannoni travaille ici avec le photographe Marc Trivier, dans ce qu’il faut appeler un livre d’artiste, même s’il est tiré à six cents exemplaires. Donc se pose la question du lien, de la collaboration texte/image. Elle est ici particulièrement réussie.
Il est clair que les poèmes ont été écrits à partir des photos. Elles sont au nombre de huit, en noir et blanc. Six d’entre elles présentent une femme sur une passerelle de bois, et les deux dernières sont des paysages. Les titres de Giovannoni renvoient au monde de la photo : « première vue », « (Pause) », « Prise »… Et l’on retrouve ce vocabulaire à l’intérieur des poèmes : « Appuie. / Déclenche. Fine couche sensible. », « Nom. Numéro de pellicule. », « Et flou autour… ». Mais tout autant, on pourrait dire que le poème est autonome puisque l’éditeur intègre dans le livre un CD audio des poèmes lus par leur auteur. Le texte peut donc tenir sur sa seule force expressive ; il n’est pas purement illustratif.
On retrouve cette tension entre écart et proximité dans les poèmes. Certaines séquences renvoient directement à la photo : « Passerelle. Oui passerelle. Avec jeune fille. / Ponton ou jetée. / Devant. S’en va. » Parfois, on peut même sembler proche de notes descriptives : « Brume. / Peut-être matin. // Suppose. Cache-col. / Sac à dos. Sur flanc droit. // Pois blanche. Partout. / Arbres asphyxiés. // Jeune fille. Tête noire. / Repousse. »
Mais tout autant que ce désir de prendre appui sur les photos de Trivier, il y a écart de la rêverie, ajout imaginaire à ce que voit l’œil en noir et blanc : « Visage. Son visage. / De profil. / Sur fond lacté. / Gagne / Rose aux joues. Imaginé. », ou bien « Cheveux. Visibles. / Blonds sûrement. / Sous passe-montagne. / Immobiles. Sans vent. » Au-delà encore, à partir de ces photos où la femme apparaît puis disparaît, le poète ébauche une sorte de drame possible : « Veux / Secours. // Course sur la passerelle. / Noir derrière. // Non pas ça… // Ne plus se pencher / Non. Jamais plus. »
L’écriture dense, serrée sur elle-même, est propice à cette ouverture de la lecture de l’image, tout comme le flou de Trivier. Formellement, chaque page est constituée de courtes séquences en vers libres, constitués de phrases très brèves, souvent seulement un mot. Au-delà de cette constriction, mais allant dans le même sens de l’ouverture interprétative, on a l’usage fréquent de l’ellipse et du suspens : « Ai perdu… », « A moins que / (…) », « Entré. Plié. Inversé. / (…) », « Ne sait (…) », « Perdue droite… », « Et… », « Papier. Ne peux… »
Poèmes et photos se rejoignent peut-être là, dans leur capacité à créer de l’étrangeté, de l’art, à partir d’un réel somme toute banal : une femme sur une passerelle de bois.
[Antoine Emaz]
Jean-Louis Giovannoni / Marc Trivier, Ne bouge pas !, Editions La Pierre d’Alun – 80 pages, 34 € (avec un CD) - site de l'éditeur