1962. Madeleine (Ludivine Sagnier), la vingtaine, chantonne des tons piquants dans un Paris radieux. Sa fille, Véra (Chiara Mastroianni), quatre décennies plus tard, connaîtra l’effondrement des Twin Towers. Entre temps, toutes deux vivent, chantent, aiment des hommes, et perdent en route mille illusions. Mélanges d’époques et de lieux, étreintes entre passé et présent, influence de l’Histoire sur les mœurs d’une génération, entrelacement des genres et des âges, Les Bien-Aimés combine réseaux, échos, doubles lectures, quelque part entre comique amer et tragique sucré. Et c’est tout simplement … sublime. De la Deneuve de Demy, à Véra, héroïne contemporaine mélancolique ; et de Prague à Reims, Alex Beaupain met en chansons les airs du temps, pendant qu’Honoré, lui, convoque toutes les audaces visuelles pour parler d’Amour allant jusqu’à faire revivre la légèreté de Truffaut dans un prologue délicieux. L’Amour-poison, l’Amour-malade, de celui qui vous tue. De morceaux en morceaux, le film caresse les sensations, les réflexions, les évolutions. Nous, on se délecte d’une mise en scène enlevée, qui sublime les corps et les bouches, d’un spleen envoûtant et désespéré, d’une insouciance poivrée aux éclairs de violence, qui jaillissent par hasard, toujours soudainement, pour mieux prendre à la gorge.
Paul Schneider, Louis Garrel, Rasha Bukvic, Michel Delpech et Milos Forman, entourés de leurs femmes, se donnent alors la réplique dans une fresque sauvage et affligée, dont les effluves nostalgiques et les apparences sirupeuses masquent à peine la suprême tristesse. Comment le contexte politique et social influence-t-il les cœurs ? Honoré y répond du Printemps de Prague à l’apparition du sida, en passant par le 11 septembre. Que transmet-on de générations en générations ? Il offre matière à débat dans une relation mère/fille, à la fois ludique (Deneuve et Mastroianni : mère et filles à l’écran…et à la ville) et magique. Quelles différences entre l’amour des sixties et l’amour en l’an 2000 ? Son tour du monde nous assène une réponse d’un pessimisme glacé. Au fur et à mesure que le temps défile, le film perd en futilité et impertinence ce qu’il gagne en noirceur et chagrin, transformant les villes en personnages à part entière, véritables forces d’impulsion sur des destins désordonnés. Un Paris romantique en ville-lumière. Un Londres rock’n’roll en ville-coup de foudre. Une Montréal érotique… logiquement ville-tombeau.