C’est extraordinaire, non ? Pensez ! Il y a à peine un petit mois, il était question d’enlisement.
D’une guerre qu’allait probablement durer.
Bref, ça sentait fort le bourbier, le merdier au carré.
Et puis, oh surprise, en l’espace d’une semaine, voilà que Tripoli tombe. Recta.
Il ne reste plus qu’à débusquer Kadhafi, comme autrefois Saddam Hussein, l’estourbir et l’affaire sera pliée.
Mais quel fantastique retournement de situation, n’est-ce pas ?
Tant ça ressemble, comme deux gouttes d’eau – ou de pétrole, plutôt – à un blockbuster que n’aurait certainement pas renié cet infâme tâcheron qu’est Roland Emmerich.
Déjà, faudrait nous expliquer comment ces "rebelles" que des militaires chevronnés, à qui on ne la fait pas, qualifièrent récemment de « pathétiques », quand ce n'était pas « d’incompétents », ont pu, en si peu de temps, devenir des guerriers redoutables, disciplinés, affutés, au point de faire plier les hommes du colonel Kadhafi. Je rappelle, au passage, que ces hommes-là sont tout, sauf des rigolos. Pas le genre à tirer en l’air comme des crétins devant des caméras de télévision... Et d’ailleurs, à ce propos, quelqu’un a-t-il vu, dans nos divers, et si peu variés, écrans de télévision, un seul combattant de Kadhafi ? C’est fou, non ? Pas même un prisonnier. Et pourtant, il se murmure qu’il y en aurait…
En revanche, des "rebelles", ça, on nous en montre, et à la pelle. Nonobstant, c’était peut-être pas une bonne idée, car à les voir, le doute empire, dans nos esprits. Certes, nous ne sommes pas des benêts, on sait ce qu’elles valent, ces images dites de guerre. On a déjà donné. Avec celles du Golfe. Et tant d’autres. Faut pas s’y fier. Ca flirte même pas avec « propagande », ça l’épouse. Et sous toutes les coutures.
Enfin tout de même ! Des types vociférant sur des pick-up qui viennent à bout d’une armée, fût-elle composée – en partie – de mercenaires, une armée équipée sport en tanks et missiles sol-air, ça vous paraît pas curieux ?
Oh bien sûr, l’OTAN, via les airs, a fait le job, pilonnant à tout-va.
Avec quelques dommages collatéraux, pour le moins fâcheux quand on a pour seule mission de « protéger les populations civiles ». Et je vous passe certaines gâteries prodiguées par nos "insurgés".
Il est bon, je crois, de se remémorer la résolution 1973. Oui, il est bon de rire parfois.
Ce qui frappe – c’est le cas de le dire – dans ces images télévisuelles de propagande, outre la vision de ces "insurgés" qui, ça crève les yeux, nous apparaissent effectivement considérablement « pathétiques », c’est que, au loin, on peut apercevoir des explosions, signes d’un véritable affrontement. La question étant : mais qui se bat, et sans merci, « au loin » ?
Assurément les partisans de Kadhafi ; mais « les autres », qui sont-ils ?
Il ne faut pas être grand clerc pour émettre l’hypothèse, hautement probable, qu’il s’agit en réalité de véritables militaires (français, britanniques, etc.) et de mercenaires grassement rétribués.
Or donc, comme nous nous éloignons, de plus en plus, n’est-ce pas, de notre fameuse résolution 1973.
Ceci étant, il faut bien comprendre qu’une opération de ce type, ça coûte bonbon. Un sacré paquet de pognon. Or, par temps de crise mondiale, menaçant les derniers Triple A, faudrait voir à pas traîner. C’est que dites, 87 millions d’euros en seulement 80 jours, ça pèse lourd pour un petit pays comme la France, étroitement surveillé par des agences de notation US.
Heureusement que nos « amis » du Qatar (et des Emirats arabes unis) sont là pour nous filer un coup de chéquier.
Oui, pour les derniers qui se demandaient ce qu’ils venaient faire dans cette occidentale « coalition », eh bien vous avez désormais un début de réponse. Ce n'est quand même pas les Italiens, endettés jusqu’au cul, qu’allaient financer ce bazar !
L’essentiel étant, qu’au final – comme on dit – chacun ait sa part du gâteau. Le gâteau étant, comme de bien entendu, le pétrole.
Est-ce pour des nèfles, ou beurrer quelques sandwiches, que des militaires français et britanniques (déguisés en touristes) ont installé leur QG au sein de la raffinerie de Zuwaytinah ?
Alors, je sais, l’on me dira, Kadhafi, c’est un « fou », un « malade », un « paranoïaque », et depuis peu (tout comme Ben Ali et Moubarak), un épouvantable dictateur, dont il faut impérativement et impérialistement se débarrasser, qu’il faut convaincre de partir afin que son peuple soit délivré du mal, Amen !
Oh, il l’était bien avant, dictateur, tyran, mais on n’osait pas trop le dire. La preuve, nous le recevions chez nous et avions même l’intention de lui vendre des Rafale. Vend-on des joujoux militaires de catégorie une à un dictateur quand on se prétend démocrate, et protecteur des opprimés ? Bien sûr que non ! On n’en refourgue qu’à des « amis » de la démocratie...
Or donc, vous voyez bien que Kadhafi n’est (redevenu) un dictateur que depuis très peu de temps. En fait, depuis décembre dernier. Soit depuis que le peuple tunisien s’est révolté. Et tout seul, s’il vous plaît ! Sans l’aide de personne. Tout comme le peuple égyptien.
Il y a, que voulez-vous, des révolutions qui sont admirablement spontanées. Téléguidées par personne. Et surtout pas par nous autres, les occidentaux, qu’avons ont bien d’autres chats persans à fouetter : la crise, par exemple... Quand on sait qu’une crise de ce calibre ne se résout que de deux façons, soit par l’inflation, soit par la guerre, on comprend que nous préférions nettement la première option. N’est-ce pas ?
Toujours est-il qu’on observe une inflation de combattants bizarres au sein des non moins bizarres "rebelles". D’aucuns s’en sont émus, mais étrangement, ça n’a pas l’air d’intéresser grand monde.
Pas plus que des armes parachutées par l’OTAN, s’en aillent, parfois, alimenter l’AQMI.
Non, tout va bien, ce Conseil national de transition, composé en immense majorité par des anciens compagnons de Kadhafi, est tout à fait crédible et fiable. Bref, on peut leur faire confiance... Nul doute qu’ils flingueront le tyran, accidentellement si possible.
Après quoi, et avec l’aval – voire : sous l’égide – du Qatar et de la Ligue Arabe, nous pourrons nous partager le grisbi pétrolier, comme prévu.
Et fêter dignement, le 11 septembre prochain, le dixième anniversaire des attentats du même nom. Moubarak, Ben Ali, Kadhafi, Ben Laden en quelques mois, mais quel putain de joyeux dixième anniversaire, non ?
Reste la question du peuple libyen que nous devions protéger. Que va-t-il devenir ? Que va-t-il faire de ses pick-up qui lui ont permis de battre le guide de la révolution ? Et les armes qui resteront, que va-t-il en faire ?
Je crois que l’Irak est un modèle, en guise de réponse. Sauf que, l’issue ne sera pas la même.
Elle sera sanglante.
Car c’est bien joli de renier un à un tous les horribles dictateurs qui nous ont, pourtant, rendu bien des services, même qu’on se foutait du tiers comme du quart de ce qu’il en coûtait, notamment pour leurs populations.
Oui, c’est bien beau de se faire passer aux yeux de téléspectateurs naïfs, pour de grands démocrates, encore faut-il assurer le service après-vente. Mais, y'en a-t-il jamais eu un, au programme ? Que ce soit en Irak, en Afghanistan, en Tunisie, en Egypte et en Libye ?
En admettant que oui, quelle est sa véritable nature ?
Je l’écrivais, en mars dernier : nous ne sommes venus ni protéger, ni porter assistance au peuple libyen.
Je maintiens.
Nous n’y sommes allés que pour protéger nos intérêts. A la faveur d’une crise financière, d’une crise de notre système néolibéral.
Nous n’y sommes allés que pour faire main basse sur des puits de pétrole. Et pour contrôler toute une région. Hautement stratégique.
Le peuple libyen, comme les peuples irakiens, tunisiens et égyptiens, sont nos faire-valoir (depuis quand, d'ailleurs, le peuple, quel qu'il soit, est une préoccupation de ce système néolibéral ?).
Ils ne pèsent en rien. Nous réglons nos comptes, c’est tout. Et nous préparons l’avenir. Un avenir sombre. Qui ne ressemble pas à l’inflation, mais à la guerre.
Il n’y a pas de victoire du peuple libyen. Il n’y a, peut-être, même pas de Printemps Arabes.
Il y a juste le pire qui se prépare. Minutieusement. Du sang et des larmes.
Mais, en attendant, quel putain de joyeux dixième anniversaire !
Celui-ci, au moins, on l’aura pas raté…