Paris, le jeudi 4 août 2011 – En 2006, le Commissaire européen aux droits de l’homme rendait un jugement plutôt sévère sur les conditions dans lesquelles étaient mises en œuvre les hospitalisations sous contrainte… en France. Il écrivait que « comme toute privation de liberté, l’hospitalisation d’office ou à la demande d’un tiers, ne devrait être établie que par un juge et non par la seule autorité administrative ». Cette dénonciation faisait écho à l’étonnement évoqué depuis plusieurs années par de nombreux acteurs réprouvant le pouvoir des autorités administratives face à ces situations épineuses. Il aura cependant fallu attendre quatre ans pour que les pouvoirs publics soient contraints, eux aussi, à se saisir du problème. Le tiers à l’origine de ce revirement fut le Conseil constitutionnel qui, saisi dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), se pencha sur la conformité de la loi du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux. Le Conseil Constitutionnel observa notamment que les modalités de maintien d’une personne hospitalisée à la demande d’un tiers au-delà de quinze jours contrevenait à l’article 66 de la constitution, article qui impose que toute privation de liberté soit placée sous le contrôle de l’autorité judiciaire « gardienne de la liberté individuelle ». Aussi, le Conseil Constitutionnel, estimant que la garantie du droit des personnes hospitalisées passait par l’intervention d’un juge impose aux pouvoirs publics de faire adopter avant le 1er août 2011 de nouvelles dispositions.
Exception européenne
Cette position du Conseil Constitutionnel avait à l’époque été plutôt saluée par de nombreux professionnels de santé. « Introduire un arbitre dans la prise en charge est une bonne chose. Cela évitera certains abus et soulagera le médecin d’une lourde responsabilité » avait commenté un psychiatre parisien cité par le Figaro en novembre 2010, tandis que le Syndicat des psychiatres d’exercice public se félicitait de voir enfin ouvert le débat sur « la judiciarisation des soins sans consentement ». Plus récemment alors que le projet de loi devant répondre aux exigences du Conseil constitutionnel avait entamé son cursus parlementaire le psychiatre Gilles Vidon dans la revue Regards comparait : « En Belgique, le juge vient trois fois par semaine à l’hôpital et dicte les décisions au vu des expertises et après avoir entendu le malade. Pareil en Hollande, aux Etats-Unis, au Canada. En France, l’article 66 de la Constitution dit que seul le juge est garant de la séquestration et de l’incarcération des personnes. Je pense qu’il faut que ce soit la même chose en psychiatrie », affirmait-il.
Une écrasante surcharge de travail pour des magistrats déjà en nombre insuffisant
Pourtant, l’entrée en vigueur de la loi en ce début de semaine a été accueillie par de très nombreuses critiques. Ces dernières concernent prioritairement les très difficiles conditions d’application de cette nouvelle législation. Outre le fait qu’elle soit entrée en vigueur au cœur de l’été ce qui ne favorise pas une organisation optimale (!), les magistrats se montrent très remontés contre un texte qui va augmenter très fortement le nombre de leurs interventions. Au vu des 80 000 hospitalisations sans consentement enregistrées chaque année, on imagine combien d’audiences, s’imposant automatiquement pour tout prolongement au-delà de quinze jours et en cas de litiges entre médecins et préfets en deçà de ce délai, vont devoir être tenues. « Avec cette surcharge énorme de travail, cette loi est inapplicable dans l’immédiat. On nous avait promis 80 magistrats supplémentaires. Il n’y en a, à ce jour, aucun » déplore Virginie Duval, secrétaire générale de l’Union syndicale des magistrats citée par Libération.
Transporter les malades au tribunal ? Délirant !
Au-delà de l’engorgement des tribunaux, certains détails pratiques prévus par le législateur inquiètent. Le patient doit en effet impérativement être présenté devant le juge des libertés. Or, le transport des malades dans les tribunaux n’est pas sans susciter des réactions de la part des équipes soignantes. « Dans notre hôpital, la direction a imaginé des ambulances pour trois malades. S’ils sont hospitalisés sans consentement, c’est qu’ils ne vont vraiment pas bien. C’est intenable, en tout cas franchement pas thérapeutique. En plus, il faut au minimum deux infirmiers pour les accompagner. Vous les trouvez où ? » résume le docteur Chemla également cité par Libération, tandis qu’une pétition dénonçant ce « transport indigne » et « contraire au respect minimal de la dignité du malade » a été signée par 3 500 psychiatres et autres professionnels de santé. Consciente de ces difficultés techniques, la loi permet cependant également le recours à la visioconférence, système qui semble faire l’unanimité contre lui. « Nous sommes radicalement contre la visioconférence », martèle sans appel le Syndicat de la magistrature, tandis que le Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire renchérit : « Vous imaginez un grand délirant se laisser filmer et parler devant une caméra ? ». Quant à la justice foraine qui verrait le magistrat se déplacer à l’hôpital (comme en Belgique), elle recueille plus d’adhésion mais pose de nouveau le problème du manque de juges ou encore de l’intervention du greffier…
Secret médical ?
On le voit, la nouvelle règle en vigueur concentre principalement des critiques techniques. Cependant, ces dernières se révèlent particulièrement virulentes en raison de l’animosité générale engendrée par le texte de loi qui comporte également plusieurs dispositions sur les soins ambulatoires sous contrainte qui font fortement débat. Par ailleurs, beaucoup redoutent que l’intervention du juge ne fragilise le respect du secret médical.
Aurélie Haroche
http://www.jim.fr/en_direct/pro_societe/e-docs/00/01/EC/2B/document_actu_pro.phtml
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