On devrait règlementer un peu plus sévèrement l’usage de la citation. Entre le XXIè siècle spirituel ou pas de Malraux, la fortification par l’évitement de la mort de Nietzsche, la défense de la liberté de dire des conneries par Zadig&Voltaire, et l’accueil de la misère du monde par Rocard, on se dit que bon nombre de ces poncifs collant à l’intellect comme un chewing-gum à la semelle de la tong estivale pourraient être réduits à néant par la lecture des ouvrages ou à tout le moins des paragraphes dont ils sont issus. Quand Nathalie Kosciuzko-Morizet se décidera enfin à faire brûler les bergers sur la place publique, j’irai moi-même jeter des dictionnaires de citations dans le brasier, à la fois pour alimenter la flamme et pour que tombent dans l’oubli ces Big Mac de la culture qui rendent l’esprit anorexique.
Pour qu’on ne m’accuse pas d’avoir condamné le suspect sans procès, prélevons d’un de ces sandwichs sans saveur et sans âme une citation choisie en fonction de la mauvaise foi du jour. Faites entrer l’accusée: « La Femme est l’avenir de l’Homme », Louis Aragon. Esbaudissons-nous quelques secondes sur la platitude du propos, et mettons le crime sur le compte de la démence passagère, due au passage douloureux du surréalisme au communisme béat. L’auteur des faits, à qui on accordera aisément les circonstances atténuantes tant par égard pour son oeuvre poétique que pour son passé de résistant, à tout de même fourni au séducteur impénitent et sans scrupules une clé pour ouvrir le coeur de mainte innocente sensible à la guimauve qui fournit tant de chansons d’amour d’une niaiserie sans fond , et au fin’amor qui n’existe guère que dans les livres de chevalerie. En vérité je vous le dis, gentes dames, gentes damoiselles, si un homme vous traite de muse, prenez vos jambes à votre cou, mais pour courir.
Il n’est qu’à poser son regard sur la dirigeante d’un parti bas du Front ou sur la tueuse d’ours Sarah Palin pour que se fasse jour l’idée qu’Aragon devait vraiment être en manque d’affection pour dire une chose aussi dénuée de bon sens, et que quand elle a décidé d’être stupide, la Femme est un Homme comme un autre. A l’inverse, si la Femme attend que l’Homme la libère de la cuisine et de la garde de la couvée, l’avenir risque de se faire attendre pendant plus d’un siècle (spirituel ou pas). A telle enseigne que lorsque l’ on se met en devoir de décrypter la critique de l’une des deux gorgones citées plus haut, il leur est presque plus souvent reproché d’être femmes que d’être fascistes. Sans aller jusqu’à de telles extrémités dans le paysage politique, la pluie de commentaires sexistes qui fuse à l’encontre de tant de députées et de ministres dont on déplore l’action politique font parfois regretter au singe que l’Homme eut été son avenir. Et encore, je ne parle que de gens réputés être de bonne compagnie.
J’entends déjà la clameur des galants frustrés par ma démarche qui a révélé leurs minables astuces, affirmer que voir les deux sexes qui composent notre espèce lutter main dans la main (je sais que les sexes n’ont pas de main, c’est une licence poétique) ne serait qu’utopie et vue de l’esprit, et relèverait de ma part du même procédé que les sucreries musicales que j’ai chafouinement dénoncées. Je m’insurge. Tout d’abord, je chante très bien et n’ai nul besoin de vos artifices, et d’autre part j’ai si peu confiance en votre confrérie de chasseurs préhistoriques qui tiennent Eric Zemmour pour un intellectuel, que je revendique ma sympathie pour le féminisme aussi haut que ma détestation des aphorismes hors contexte. La misogynie ordinaire (et son pendant féminin la misandrie) me hérissent le poil autant que l’inculture abyssale de Frédéric Lefèvre. Et la convergence des luttes n’est pas un gros mot, que je sache.
Alors ne m’obligez pas à citer Saint Exupery et ses problèmes d’orientation du regard.