L’idée d’un défaut de la Grèce fait de plus en plus son chemin, les brouilles entre pays européens se multiplient, les volontaires du secteur privé appelés à participer au plan de sauvetage ne se bousculent pas au portillon, les capacités financières de la BCE et du FESF sont insuffisantes… bref, une prochaine crise boursière devrait avoir lieu vers la mi-septembre.
Par Stéphane Montabert, depuis Renens, Suisse
Bon, déjà, rajoutons quelques mises en garde. Je ne garantis pas une précision chronométrique sur le déclenchement – pas forcément le le vendredi 16 à 14:57. Au train où vont les choses, nous pourrions même assister entre temps à une ou deux phases d’effondrement comme ce paisible mois d’août nous en a offert. Mais quelque chose de gros et lourd va indéniablement se passer sur les places financières au début de l’automne.
Le contexte, on le connaît. La récession se présente gentiment, l’euro glisse, la BCE imprime, etc. Tous les voyants sont au rouge, et ce ne sont que les péripéties judiciaires de DSK ou les affrontements à Tripoli qui ont permis aux journalistes de se mettre autre chose sous la dent. Temporairement.
Mais en septembre, c’est la rentrée. Les affaires reprennent. La bonne humeur estivale s’est envolée. La prochaine bouffée d’optimisme, généralement vers Noël, semble encore très loin.
Et la Grèce va mal.
Le ministre grec des Finances, Evangélos Vénizélos, a évoqué vendredi le risque d’un nouveau dérapage budgétaire pour cause de récession, indiquant qu’il en discutera la semaine prochaine avec la délégation tripartite de l’UE et du FMI surveillant les comptes grecs.
« Nous ne voulons pas renégocier » le plan d’austérité dicté au pays jusqu’en 2015 par ses bailleurs de fonds, la zone euro et le Fonds monétaire international, mais « nous voulons estimer en commun avec la troïka les données macroéconomiques (…) et évaluer les objectifs budgétaires », au vu de la récession pire que prévue, a affirmé le ministre.
S’exprimant lors d’une séance de questions parlementaires, il a réaffirmé tabler désormais pour 2011 sur une contraction du PIB « supérieure à 4,5% », contre une projection de départ de -3,5%, avalisée par l’UE et le FMI mais plombée par la cure d’austérité administrée au pays sous leur tutelle.
Les taux grecs à 10 ans ont atteint un nouveau record jeudi, les investisseurs craignant que les garanties exigées par la Finlande en contrepartie de son aide financière à Athènes fragilisent la mise en œuvre du second plan d’aide mis en place pour la Grèce.
À 15H35, les rendements grecs à 10 ans s’inscrivaient à 18,548% contre 17,892% mercredi à la clôture. Les taux à deux ans montaient à 45,892% contre 44,025% la veille. [oui oui, il n'y a pas de faute de virgule. Cf. graphique ci-dessus.]
« L’idée d’un défaut de la Grèce fait de plus en plus son chemin auprès des investisseurs », a souligné René Defossez, stratégiste obligataire chez Natixis.
L’idée fait son chemin, en effet. Avec des chiffres pareils, qui peut s’attendre à ce que la Grèce reprenne pied?
Il y a deux raisons à ce soudain sursaut de réalisme. D’abord, les engueulades entre pays européens:
Les garanties exigées par la Finlande pour sa participation au prêt international octroyé à ce pays « fragilisent la mise en œuvre de ce plan », a-t-il expliqué.
La semaine dernière, Helsinki a annoncé être parvenu à un accord avec Athènes au sujet de ces garanties, soulevant de vives tensions dans la zone euro. L’Autriche, les Pays-Bas, la Slovaquie et la Slovénie ont laissé entendre qu’ils souhaitaient le même traitement de faveur. L’Allemagne reste de son côté fermement opposée au versement de toute garantie.
Alors que tant d’efforts sont déployés pour maintenir une belle unité de façade, les disputes de chiffonniers en coulisses font mauvais effet. Les désaccords gagneront en intensité alors que la Grèce se rapproche toujours plus de la cessation de paiement, permettant à chacun de voir à quel point le bel accord d’ensemble entre Européens est illusoire. Il suffit que la Finlande réclame de faire des prêts plutôt que des dons à la Grèce – qui croit encore sincèrement qu’Athènes remboursera? – pour que les disputes s’embrasent. Et voilà l’Autriche, les Pays-Bas et d’autres de réclamer eux aussi le droit d’être plus égaux que d’autres, pendant qu’Angela Merkel fait les gros yeux… Mais personne ne la croit plus capable de garder un cap, quel qu’il soit.
Rappelez-vous: avant de partir en vacances, tous les dirigeants de l’Europe s’accordaient à dire que les créanciers privés, ces salauds, devaient mettre eux aussi la main au porte-monnaie pour sauver la Grèce. Seulement, il n’était pas question de leur tordre le bras: les agences de notation auraient tôt fait de prononcer un défaut, même partiel. L’annonce aurait démoli la valorisation des emprunts grecs dans le bilan des banques françaises et allemandes, les forçant à être recapitalisées ou à faire faillite.
Pour éviter à ce scénario catastrophe (auquel nous n’échapperons probablement pas de toutes façons) les têtes pensantes de l’UE décidèrent d’une participation « volontaire » du secteur privé. Quoi de plus facile, entre gens de bonne compagnie, de décider de faire payer quelqu’un d’autre! Comme toute forme de contrainte était toutefois interdite, on demanda aux banques de proposer elles-mêmes les modalités de leur participation « volontaire ». Étalage sur 30 ans des prêts grecs, provision à 20% des sommes empruntées en cas de reconduction d’une obligation arrivant à échéance, quelques propositions astucieuses furent avancées… Et c’est tout.
Alors que la période de foisonnement intellectuel arrive à terme, les volontaires ne se bousculent pas au portillon.
Le plan de sauvetage du 21 juillet prévoit une participation, sur une base volontaire, des créanciers privés d’un montant total de 158 milliards d’euros.
Or, pour l’instant, « une quarantaine de banques en Europe se sont dites intéressées, ce qui est très peu », a souligné [un expert du marché obligataire].
Athènes a donné aux établissements bancaires jusqu’au 9 septembre pour se déterminer sur la forme de leur participation.
Bien que le 9 septembre ne soit pas sur le plan strictement comptable une échéance cruciale pour la dette de la Grèce, le manque d’enthousiasme du secteur privé sera indiscutable ce jour-là. Il fera clairement sentir le roussi à toutes les places boursières du monde. 158 milliards d’euros à refinancer et si peu de monde pour profiter de l’aubaine, c’est ballot.
On assistera probablement à une réunion d’urgence de tels ou tels politiciens, mais pour décider quoi? Le Fonds Européen de Stabilité Financière et la Banque Centrale Européenne vont, comme d’habitude, être appelés à la rescousse, mais leur capacité financière est insuffisante – précisément la raison pour laquelle le secteur privé était amené à mettre la main au porte-monnaie. Sans compter que l’actualité a déjà amenés BCE et FESF à engager des moyens pour sauver Chypre, l’Espagne et l’Italie, ce qui n’était pas prévu à l’origine. Peut-être que ces Finlandais n’étaient pas si bêtes de se montrer prudent, finalement…
Le mois d’août était chaud, attendez donc de voir septembre.
—-
Sur le web