"Qu'il est beau mon pays" pensait-il.
Particulièrement les vieilles rues de sa ville natale, Hama, l'unes des plus vieilles villes de Syrie où y circule toujours quelques enfants et où y grandissent des familles comme la sienne dans les années 50. S'y côtoient ancienneté et futur. Marcher jusqu'au moulin Les Norias Sur l'Oronte où le calme est total. Encore là, de vieilles pierres côtoient un moulin, considéré comme techniquement évolué, qui soulève l'eau et produit une petite bruine sur les visages des passants. L'extrème chaleur perpétuelle fait oublier que cette eau est en fait brune et sale. Ali Farzat apprécie la communion des sens qui se traduit en lui quand il marche dans la ville qui l'a vu grandir.
Traduire. Voilà ce qu'allait devenir son métier. En tant que caricaturiste, il devient en quelque sorte le traducteur des impressions du jour pour la Syrie. Le pouls du peuple.
Fin observateur comme le métier l'exige mais surtout fin penseur, Ali Farzat gagnera le premier prix en 1980 à l'Intergrafik International Festival de Berlin. Ses dessins commenceront à être publier dans le journal français Le Monde. Une exhibition de ses dessins en France en 1989 lui vaudra une condamnation à mort par Saddam Hussein doublée d'une interdiction de séjour en Irak, en Lybie et en Jordanie. Ce dessin qui montrait un général offrir des médailles à des citoyens arabes qui se mourraient de faim y est pour beaucoup.
En 2000, inspiré par Le Canard Enchainé en France, il fonde Al-Domari, un journal indépendant, le premier depuis 1963 en Syrie, une satyre politique qui tombe vite dans les disgrâces du pouvoir en place et qui lui met tant les bâtons dans les roues qu'il doit fermer boutique dès 2003.
Ceci n'empêche pas Ali d'avoir la dent dure. Il devient le président de l'Association des Caricaturistes Arabes. En mars 2011 le soulèvement populaire fait rage en Syrie. Farzat embarque dans le mouvement anti-dictateur Bashar al-Assad. Il devient de plus en plus anti-régime. Payback time. Suite à la débâcle lybienne et la chute de Tripoli, Farzat publie une caricature de Al-Assad en train de courir afin de rejoindre une voiture qui le ferait fuir en compagnie de Khadafi. Une autre caricature montre Al-Assad, homme tout mince, faisant gonfler ses petits muscles devant un miroir qui lui renvoie l'image d'un collosse habillé en tenue militaire et tout à fait son contraire.
Homme de ville de par son travail, Farzat pensait souvent à Hama. Sa ville de naissance. Pourquoi pensait-il à sa naissance ce jeudi matin là? Il avait travaillé toute la nuit. Il revenait de son studio à 4h30 du matin au coeur de Ummayad Square et s'apprêtait à retourner chez lui. Lui, si fin observateur n'a jamais rien vu venir.
Son type d'observation ne se situait pas au premier degré. Il voyait au-dessus de tout ça. Il voyait au travers des mots et des gestes. Voilà pourquoi il a été surpris quand des hommes masqués l'ont tiré de sa voiture en hurlant, très premier degré, " comment ose-tu t'attaquer à ton maitre?" et l'ont battu en lui brûlant la barbe et en lui cassant deux doigts de la main gauche et fracturé le bras droit.
"On verra ce que tu dessinera à partir de maintenant, prends-ceci comme un simple avertissement" lui a-t-on craché avant de l'abandonner sur le bord de la route menant à l'aéroport, le visage tuméfié.
Il est toujours courageux de s'attaquer à plusieurs sur un homme de 60 ans.
Des dizaines de personnes sont passées aux côtés de son corps sans intervenir, terrorisés par la brutalité des évènements.
Le gouvernemenr de Bashar Al-Assad a perdu le contrôle.
La tolérance pour la dissidence en Syrie frôle le zéro.
La tolérance vis-à-vis l'intolérance devrait faire de même.
"Qu'il est beau mon pays" a quand même pensé Ali Farzat sur son lit d'hôpital.
Nous sommes tous Ali Farzat.