Outre le titre d’une réédition de divers grands romans de l’écrivain français en un seul volume, l’on peut également, d’un point de vue global, attribuer le même qualificatif « d’extraordinaire » à l’œuvre de René Barjavel dans son entier, dans son tout, bien que tous ses romans ne se valent pas évidemment.
Cet été, j’ai effectivement découvert, pour mon plus grand plaisir, un grand auteur d’anticipation et de science-fiction français.
L’article en question n’a pas vocation à présenter la vie de l’auteur dans son intégralité, mais si l’envie vous prend d’en savoir plus sur ce personnage pour le moins atypique, vous pouvez vous rendre ici ou bien encore là.
Dès à présent, laissez moi le loisir de vous présenter mes lectures passées et à venir de René Barjavel.
Il est probable, dans ce qui va suivre, que certains éléments d’intrigue soient dévoilés, et je vous met ainsi en garde pour préserver intact le plaisir que vous aurez peut-être à ouvrir ces œuvres, souvent d’une grande qualité.
Le registre
Si René Barjavel fut un auteur prolifique et relativement polyvalent, il n’en semble pas moins certain qu’il avait une particulière aisance dans le registre de la science-fiction et de l’anticipation, ce qui consiste bien souvent en l’imagination d’un monde futur différent du nôtre sur bien des aspects (technologiques, scientifiques, politiques, sociologiques, …).En la matière, Barjavel est un auteur très complet : relatant bien souvent un contexte naturel plus ou moins présent selon l’intrigue, mais souvent exalté (Ravage, Une Rose au Paradis, La Nuit des Temps), un amour puissant poétique et parfois même impossible (dans la totalité de son œuvre), dont la naïveté parfois quelque peu à l’eau de rose est amplement contrebalancée par une mélancolie inspirée des malheurs du destin de l’humanité.
Persiste cependant bien souvent l’idée d’un éternel recommencement, inhérent à la volonté de l’humain de s’extirper d’une condition inopportune, ce qui conduit Barjavel tantôt à la nostalgie des temps passés (Ravage, La Nuit des Temps) tantôt à l’attente, l’envie des temps futurs (Une Rose au Paradis, Le Voyageur Imprudent).
L’ambiance confine tantôt à la science-fiction la plus aboutie : évolution scientifique poussée à son paroxysme (Le Grand Secret, La Nuit des Temps, Ravage), décor futuriste, voyages dans l’espace (Colomb de la Lune) ou dans le temps (Le Voyageur Imprudent).
Parfois, il existe également une tendance à l’anticipation, qui consiste alors dans l’imagination par cet auteur du futur des sociétés humaines et de leur destin face à eux-mêmes (Ravage, Le Voyageur Imprudent, Une Rose au Paradis), le tout versant bien souvent dans de funestes issues : révolutions, guerres totales, sociétés dystopiques, … .
Ravage (1943)
L’action se déroule à Paris en 2052, et décrit une société humaine extrêmement évoluée d’un point de vue technologique, qui vient à subir des perturbations physiques rendant inexploitable tout outil fonctionnant à base d’électricité, et donc pas la même inutile tous les progrès acquis en conséquence. Cette œuvre fait le récit du chaos qui suivra cet évènement, entraînant en premier lieu une vague d’anéantissement, puis un renouveau des survivants, dont le personnage principal (François Deschamps) en est.
Roman d’anticipation à tendance dystopique, Ravage s’attache à dénoncer une société irréversiblement tournée vers le progrès, et vante ainsi à contre-courant l’attachement à la terre, la vie simple et la formation des petites communautés, qu’il estime être les seules à même de garantir un équilibre entre autorité et liberté, privilégiant le progrès humain au progrès technique. C’est en quelque sorte une dénonciation du « progrès pour le progrès » et des ravages que celui-ci cause lorsque l’être humain n’est plus à même de le contrôler.
Ce roman, très intense, abordant d’une façon très surprenante un thème a priori récurrent, transporte le lecteur au grès des aventures du héros, entre un monde futuriste d’hommes puissants mais dépendants, et un monde « arriéré » mais composés d’hommes libres et simples.
Le Voyageur imprudent (1944)
Cette fois-ci, l’histoire se déroule dans une époque on ne peut plus actuelle (au moins du point de vue de l’auteur lorsqu’il écrit ce livre), puisque alors, nous retrouvons notre héro (Pierre Saint-Menoux) en pleine seconde guerre mondiale, bien que ce contexte historique n’influe sur l’histoire que d’une manière très anecdotique.
Et d’ailleurs, le contexte historique à première vue contemporain ne doit pas nous y tromper : nous sommes encore en pleine science-fiction.
En effet, l’histoire relate la découverte par un scientifique (Noël Essaillon) d’une substance permettant les voyages dans le passé ou dans le futur. Par cette invention, les deux personnages principaux se livrent davantage à des voyages dans le futur aux fins d’y observer, d’y constater l’évolution de l’humanité aux fins de soustraire cette dernière à ses malheurs, et de changer le cours du destin. Ces voyages nous livrent une forte dimension de science-fiction tintée de fantastique et d’anticipation, livrant alors une atmosphère merveilleuse se conjuguant parfaitement avec l’histoire d’amour de Pierre Saint-Menoux.
Hélas, et le titre nous le confirme, le voyageur est effectivement imprudent,si bien que non content d’échapper de peu à un lynchage en règle dans le passé, des choses plus graves encore (à peine imaginables dans la réalité matérielle de la vie quotidienne) vont lui arriver, ou ne pas lui arriver d’ailleurs … .
Et de Barjavel, de conclure sur le subtil et magnifique, mais si malheureux, paradoxe du grand-père, et de s’en expliquer à sa manière dans un post-scriptum qui permet toutes les réflexions à caractère métaphysique sur la forme et le court du temps.
Un roman extraordinaire qui mêle une intrigue fascinante à des aventures d’une grande beauté et d’une grande imagination, le tout reposant sur un thème de pure science-fiction tournant autour de très peu de personnages (donc c’est une aventure à caractère plus individuel que collectif) et ouvrant sur des conjectures physiques et des réflexions philosophiques.
Colomb de la Lune (1962)
Je serai, avec ce roman, moins élogieux.
L’histoire se déroule au Mont Ventoux, où tout doit-être des plus calmes pour la préparation d’une mission spatiale dont le but est d’envoyer pour la première fois un homme sur la Lune. Le décor laisse rêveur, nous sommes dans la lune au propre comme au figuré. Le cosmonaute, Colomb, est confronté à cette mission ainsi qu’à son amour terrestre qui, à son insu, est en train de chavirer. Le récit est assez abordable, court, et très prenant par ses diverses réflexions d’ordre physique, notamment autour du silence et du zéro absolu (l’une des dernières scènes dans un puit étant très poétique), mais globalement l’histoire est plus moyenne, car l’intrigue est finalement peu achevée (envoyer quelqu’un sur la Lune et après ?) bien qu’à l’époque de son écriture cela paraissait encore incroyable voire impensable. Il n’en est pas moins que le roman se perd et se fini dans le vague, comme inachevé.
De plus, le ton un peu détaché du romancier durant le livre nous rappelle trop, par moment, que nous ne sommes que dans une histoire : le narrateur se fait trop présent alors qu’en vérité il devrait s’effacer pour faire pleinement apprécier au lecteur les personnages du récit.
Il reste cependant un assez bon roman pour les inconditionnels de Barjavel.
La Nuit des Temps (1968)
Il s’agit du premier roman que j’ai lu de René Barjavel, et probablement du plus grand succès de cet auteur.
L’histoire semble nous être contemporaine, et met en scène une expédition polaire en Antarctique, où, après certaines observations grâce aux ultrasons, la structure de la glace à une certaine profondeur n’est pas naturelle mais artificielle. La communauté internationale se décide alors à envoyer bon nombre de scientifiques et d’ingénieurs pour creuser un tunnel suffisamment profond pour découvrir ce monde souterrain intriguant. Ils y verront les plus beaux (et succins) vestiges d’une civilisation ancienne dont 2 représentants sont conservés depuis 900 000 ans.
Grand Roman de René Barjavel, la Nuit des Temps, en plein contexte de guerre froide, nous gratifie d’un théâtre de science-fiction très diversifié : entre amour impossible, civilisation techniquement et philosophiquement avancée, et analyse toujours relativement pessimiste du destin de l’humanité, qui semble au fil du temps, et à jamais, se répéter, oscillant entre prospérité, évolutions, révolutions, guerres, destructions.
Là encore, on est subjugué par le pouvoir qui permet à l’auteur d’imaginer avec tant de cohérence et de réalisme une civilisation qui nous est au fond si différente, et ce sans oublier le légère tendance prophétique de la fin du livre qui lance, sans raison apparente, la jeunesse du monde entier dans les rues (quelque mois seulement avant Mai 1968).
Le tout forme un très bon roman, qui fut pourtant à l’origine le scénario d’un film jamais produit en définitive.
Le Grand secret (1973)
En l’occurrence, René Barjavel s’aventure vers de nouveaux horizons littéraires. La science-fiction (découvertes scientifiques et médicales sans précédent), l’anticipation (spéculation sur un nouveau mode de vie permis par des progrès considérables) et l’amour (qui est, une fois de plus, un des fils conducteurs du roman, poussant Jeanne à la recherche de son amant mystérieusement enlevé) sont une fois de plus présents.
Mais à cela s’ajoute une forte tendance uchronique : l’auteur a en effet intégré, à la fois à l’intrigue de l’enquête et à celle plus globale du livre qui réside dans un « grand secret » si bien gardé qu’il en est mal connu, des évènements historiques parfaitement réels, menés par des hommes politiques véritables, et les a ainsi expliqué, analysé, agencé d’une manière différente que l’histoire n’a pu le faire.
Il réécrit donc l’histoire, non à travers des visions officielles, mais à travers un secret interplanétaire auquel toutes les grandes nations ont un intérêt commun, et ce à quoi s’ajoute le contexte de guerre froide.
Il s’agit une fois de plus d’une histoire saisissante, et ce d’autant plus que la mécanique du roman est très bien travaillée, et que, encore une fois, Barjavel nous incite à la réflexion sur un sujet de haute volée en décrivant d’autres modes de vie humain, semble t-il paradisiaque, mais dont l’issue est une nouvelle fois peu optimiste.
Il m’est avis que c’est l’un de ses meilleurs romans.
Une rose au paradis (1981)
Cette fois-ci, l’histoire se déroule à Paris mais aucun repère de temps n’est délivré, et s’il existe une [très] légère description futuriste, l’on a sensation que la science fiction ne sera pas à l’honneur.
Monsieur Gé, l’homme le plus puissant du monde, prend la décision de faire disparaître toute vie sur terre au moyen de la Bombe Universelle. Au préalable, il décide de sauver un homme et une femme, lesquels sont nécessaires à la reconstitution d’une nouvelle « Arche de Noé » sous terre de laquelle, 20 ans plus tard, les deux êtres (et leurs enfants), seront chargés de repeupler la planète.
L’intrigue, je vous l’accorde, est assez banale, et la narration est relativement naïve bien souvent dans son expression.
Mais cette fois-ci, René Barjavel commence de suite par la catastrophe, la fin du monde, et, juste après, lance la mécanique de renouvellement [éternel ?] de la vie par l’amour. Bien que pas aussi puissant que d’autres de ses romans, celui-ci a également le mérite de nous montrer à quel point notre environnement influe sur la conception que nous avons du monde et de la vie, ce qui s’illustre parfaitement par les deux enfants de l’Arche qui n’ont jamais vu la lumière du jour, et n’ont jamais vu d’horizon sans limite.
Un roman intéressant, divertissant, qui fini sur une note légère, ce qui constitue également une innovation.
Pour aller plus loin
René Barjavel (que je vais lire encore au moins à travers « La tempête » , « Le Diable l’emporte » et « La Faim du Tigre ») me réserve peut-être encore des surprises et des satisfactions, auquel cas je ne manquerai pas de vous en faire part par un autre article à son sujet.
Je vous incite quant à moi à prendre un peu de temps pour vous y aventurer peu ou proue, et il est certains que ces quelques oeuvres m’a fait apprécié la science-fiction et ses diverses branches de réflexions.
Cet auteur n’a cependant pas uniquement écrit dans ce genre littéraire, écrivant notamment « Tarendol », ou encore « La Charrette Bleue ».
Rémi Decombe.