Tu devrais avoir honte !
L’HISTOIRE DU PETIT MAURICE
ou
COMMENT S’INSTALLE UNE HONTE TOXIQUE
QU’EST-CE QUE LA HONTE
Écoutons ce que nous en dit Gérard Bonneville (vous pouvez voir son e-book en cliquant sur le lien)
COMMENT DÉFINIR LA HONTE ? La honte est l’émotion qui témoigne que le lien d’attachement est rompu ou qu’il menace de l’être par l’altération des trois piliers fondamentaux de l’identité sur lesquels nous bâtissons celle-ci et nos relations aux autres : 1 – L’ESTIME QUE NOUS NOUS PORTONS À NOUS-MÊMES qu’on appelle le narcissisme. Cette atteinte ôte au sujet honteux toute valeur à ses propres yeux. 2 – L’AFFECTION QUI NOUS LIE À NOS PROCHES avec le sentiment de ne plus être aimé de ceux qu’on aime. C’est le domaine objectal. 3 – NOTRE CERTITUDE D’APPARTENIR À UNE COMMUNAUTÉ QUI NOUS ACCEPTE. Il s’agit de l’attachement. Non seulement le sentiment d ‘être aimé est atteint mais celui de pouvoir intéresser qui que ce soit. L’atteinte de ces liens menace de dissoudre l’existence humaine. Elle est vécue comme une forme de mort psychique à la fois subjective et sociale.
les anciennes halles de Paris
LE TEMPS D’AVANT MA HONTE
Mes parents avaient un magasin Rue Léopold Bellan, rue qui est à un jet de pierre des Halles (l’actuel Forum) bien avant que celles-ci ne déménagent à Rungis. Nous sommes prêts de la Rue Montorgueil et de l’Eglise Sainte Eustache. Tout cela pour vous situer où va se passer le drame.
Tous les enfants de commerçants jouaient ensemble dans la rue ou dans le square, il y avait peu de voitures (la guerre n’était finie que depuis 5 ou 6 ans) et il régnait (sans être passéiste) une ambiance calme et sûre. Tout le monde connaissait tout le monde . Les commerçants et les habitants de la rue se connaissaient tous. Et tous me connaissaient. C’était un peu un village. Tous les enfants de la rue jouaient ensemble et franchement on s’amusait rudement bien.
Mon surnom ? Kiki. Assez populaire, j’avais même entraîné le reste de la troupe (j’étais la Chef) à chanter dans les cours d’immeubles pour nous faire un peu de sous afin d’acheter des sucettes. Nous n’avons pas récolté grand chose mais on avait bien ri. Pour le chant, ça n’a pas été très probant et Edith Piaf a pu continuer son parcours sans avoir peur que je lui vole la vedette. Bon, pour être honnête, nos parents n’ont pas apprécié la plaisanterie et nous ont remontés les bretelles. Enfin tout cela n’était pas bien méchant.
Nous étions des enfants sans TV, ni playstation bien sûr.On s’amusait à cache cache, à la marelle, aux gendarmes et aux voleurs. Enfin nous vivions au milieu de gens normaux, nous étions des gamins normaux dans un contexte normal d’après-guerre. Tout ce long préambule pour vous dire que tout le monde, absolument tout le monde connaissait Kiki, c’est-à-dire moi.
le zizi
LE DRAME
Dans la joyeuse bande, il y avait un petit garçon de mon âge: le Petit Maurice. Pourquoi petit ? Je ne m’en souviens plus mais tout le monde l’appelait comme ça. Donc, un jour, le Petit Maurice m’a demandé si j’avais un zizi .
Réponse : « ah je ne sais pas ce qu’est un zizi ». Il m’explique plus ou moins ce qu’était un zizi (n’oublions pas que nous sommes en 49/50, pas de TV, pas de libération sexuelle en vue et ON ne parlait pas DE CES CHOSES-LÀ). De toute façon, je n’avais aucune idée de ce que pouvait être un zizi.
Devant mon incompréhension, il me dit qu’il va me montrer ce que c’est et, séance tenante, nous allons dans le couloir, et chacun baisse sa culotte. Bon, j’ai vu pour la première fois (et la dernière avant longtemps) ce qu’était un zizi.
Patatras ma mère arrive sur ces entrefaites, nous trouve avec la culotte baissée et telle une furie hurle « tu n’as pas honte, tu n’as pas honte ! Vous n’avez pas honte, vous n’avez pas honte ?
Je remonte ma culotte franchement épatée de la voir vociférer de la sorte, le Petit Maurice affolé se sauve , ma mère me tire par l’oreille et me traîne dans toute la rue toujours en me tenant par l’oreille et nous faisons toute la rue elle criant : « Regardez , je l’ai trouvée avec le Petit Maurice , quelle honte, tu n’as pas honte ?
J'ai honte, je suis mauvaise
ET LA HONTE S’INSTALLE AVEC LE STRESS EN PRIME
Le fait d’avoir été trouvée avec le Petit Maurice devait lui paraître suffisamment explicite puisqu’elle ne répétait que cela sans autres explications. Les gens devaient comprendre que je venais de commettre une ÉNORMITÉ. AH LA VILAINE KIKI ! QUELLE HONTE !
Elle m’avait trouvée avec le Petit Maurice à faire quoi ? Une chose horrible sûrement car elle avait vraiment l’air en colère. Pour moi c’était incroyable, injuste, inimaginable. Je ne comprenais absolument pas ce qui m’arrivait et l’oreille qu’elle me tirait me faisait horriblement mal.
A l’époque non je ne savais pas ce qu’était la honte, mais sans savoir que CE QUE JE RESSENTAIS ÉTAIT DE LA HONTE, j’ai vite compris que quelque chose de nouveau était entré dans ma vie. Un truc pas très sympathique.La HONTE, à partir de ce moment-là s’est infiltrée dans ma vie et m’a empoisonnée l’existence jusqu’à l’âge de 50 ans (eh oui).
Aujourd’hui, devant une telle situation et grâce à Dolto et autres psys on dirait que nous étions deux enfants curieux. Rien de quoi fouetter un chat. Freud pourrait dire que notre sexualité s’éveillait encore que là je crois tout simplement que nous étions vraiment des enfants curieux. Point.
Ma mère croyait probablement bien faire je suppose en me tirant les oreilles et en me faisant honte précisément. Moi je trouvais cela injuste car vraiment nous n’avions rien fait de MAL comme on disait. J’avais l’impression d’être mauvaise, bigrement mauvaise, d’avoir commis je ne sais quoi de gravissime (j’ajoute cependant que les parents font de leur mieux avec les outils qu’ils ont , je l’ai appris quand je suis devenue mère moi aussi)
COMMENT LA HONTE ET LE STRESS DEVIENNENT MES COMPAGNONS
Pendant des années je n’ai plus jamais entendu prononcer le nom de Maurice sans rougir comme une pivoine ou avoir envie d’entrer dans un trou. Rien que d’entendre parler de la Rue Léopold Bellan me faisait penser l’épisode du Petit Maurice. Dès que ma mère parlait de la Coutelière (grand-mère du Petit Maurice) je me sentais mal. Le seul fait de croiser cette brave dame me mettait dans des états pas possibles.
Bégaiements, rougeurs, embarras. Tout ce qui de près ou de loin me ramenait à cet épisode était synonyme de malaise, rougeurs. Je perdais tous mes moyens. J’avais envie de pleurer et de rentrer dans la terre comme on dit. J‘avais l’impression que tout le monde me regardait différemment. Je n’osais plus jouer dans la rue. J’étais devenue Kiki la honte.
Le poids de la honte
Même après que mes parents aient vendu le magasin, le mot MAURICE était synonyme de HONTE. Quand bien des années plus tard, j’ai su que le fiancé d’une grande amie s’appellait … bon vous avez deviné … Maurice, je n’ai jamais pu dire à ma mère comment il s’appelait. Je m’arrangeais toujours par dire « ah oui, le mari de Lucie ».
Ma timidité envers les garçons, cette timidité effrayante qui me poussait à changer de compartiment dans le métro dès qu’un garçon me regardait vient de cet épisode. Mes problèmes ultérieurs liés à la sexualité viennent de là. Aller chercher du pain juste en face d’où j’habitais était une angoisse insurmontable car j’avais peur de rencontrer des garçons de l’immeuble dans la cour. Parler à un garçon me mettait dans un état épouvantable
J’ai toujours eu la sensation depuis le triste épisode du Petit Maurice que tout le monde SAVAIT que j’avais fait quelque chose de terriblement MAL, de très GRAVE, tout le monde pouvait voir que je n’étais pas QUELQU’UN DE BIEN.
Jusqu’à la fin de sa vie, je n’ai plus jamais prononcé le mot MAURICE devant ma mère (elle est décédée quand j’avais 45 ans …) Je n’ai même jamais raconté à ma psychanalyste. J’étais comme marquée au fer rouge (intérieurement évidemment).
J’ai donc traîné ce poids, ce boulet pendant des années sans jamais réussir à dépasser cela. Bien enfoui, je pensais mourir avec cette tache, cette chose horrible que j’avais faite alors que j’étais si jeune . Ei puis un jour …
LE MIRACLE
J’essaie de faire preuve de COHÉRENCE dans tous les domaines de ma vie. C’est-à-dire que je fais le maximum pour mettre en pratique ce que je dis et il m’a toujours semblé honnête, et COHÉRENT, de participer aux exercices que je transmets pendant ces stages .
Donc, au cours d’un atelier de Développement Personnel que j’animais et où il y avait un exercice sur les non-dits (tous ces non-dits qui nous empoisonnent l’existence parce qu’ils restent enfouis et nous rongent), je devais donc donner un exemple de ma vie personnelle .
Et ce jour-là, je devais être au bon moment et bon endroit. Toujours est-il que je raconte devant mes participants l’histoire du Petit Maurice. J’ai même mimé ma mère me tirant par l’oreille.
Et alors là MIRACLE, j’ai éclaté de rire et l’assistance aussi et j’ai été IMMÉDIATEMENT GUÉRIE de cette honte toxique. L’épisode était devenu comique pour moi.
Rire d’un événement lointain et si bénin m’a guérie de la honte. Aujourd’hui, quand je raconte l’Histoire du Petit Maurice je RIS, mais vraiment JE RIS. Comment ai-je pu me laisser empoisonner la vie si longtemps ?
Libérez-vous
CONCLUSION
Ne vous laissez pas envahir par la honte.
La honte est toxique. Allez parler avec un psy, un(e) ami(e) , un prêtre, en qui vous avez confiance. Mais sortez-la du puits, PARLEZ-EN.
La parole est libératrice, croyez-moi
Ne vous laissez pas gangrener par la honte. LIBÉREZ-VOUS
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