Voici cinq ans, jour pour jour, que Philippe MAKITA nous a quittés. A sa disparition, en 2006, je publiai sur mon ancien blog l'article ci-dessous.
Ceux qui l’ont côtoyé, approché, parlent d’un homme sympathique, un homme qui savait irradier les cœurs de la chaleur de l’amitié. Ceux qui l’ont connu à travers ses œuvres retiennent l’engagement d’un universitaire pour que rayonnent les lettres congolaises. Philippe MAKITA a signé avec Jean-Baptiste Tati-Loutard la Nouvelle Anthologie de la Littérature Congolaise, publiée en 2003, année du cinquantenaire de la naissance de la littérature congolaise. La première œuvre congolaise, le roman Cœur d’Aryenne de Jean MALONGA, avait en effet été publiée en 1953. Philippe MAKITA est l’auteur de divers travaux critiques, que l’on peut retrouver dans des ouvrages collectifs comme l’ Anthologie des Littératures francophones d’Afrique centrale parue chez Nathan en 1995. Il était par ailleurs chef de service des programmes à l’Institut National de Recherche et d’Action Pédagogique (INRAP).
Philippe MAKITA n’était pas seulement universitaire, il était aussi écrivain. Il a flirté très tôt avec la poésie, au point d’avoir avec elle une véritable histoire d’amour. Son premier recueil de poésie, Sandales retournées, a été écrit au cours de ses années lycée. Un second recueil est paru récemment chez Acoria. Les rapports privilégiés de l’auteur avec la poésie se manifestent également dans son roman, Le Pacte des contes. Celui-ci est en effet traversé de part en part d’un souffle poétique qui en rafraîchit la lecture, et qui invite à vouloir découvrir l’auteur dans ses recueils.
Depuis le 27 août 2006, Philippe MAKITA n’est plus des nôtres, pourtant il sera toujours avec nous, et ce chaque fois qu’on ira fouiner dans les pages de ses œuvres, pour qu’elles nous livrent leurs trésors. N’est-ce pas le souhait qu’il exprime – être toujours vivant – à la page 76 de son roman ?
« On croit qu’avoir beaucoup de voitures, de maîtresses, de maisons (…) et de l’argent suffit à être inscrit sur titre dans le Livre de la postérité. Erreur. Dès que l’Acte de décès est établi, la décoration à titre posthume posée sur le cercueil, le quarante cinquième jour de deuil arrosé de bière, c’est fini. Disparu. Oublié. Un grand auteur, lui, survit à l’oubli familial, national pour entrer dans la mémoire internationale, et avec lui certains personnages de ses livres : Rabelais et Gargantua par exemple »
A travers ces lignes, on entend comme une petite voix qui dit : « Ne m’oubliez pas ! »
LE PACTE DES CONTES
Dans ce texte, Philippe MAKITA ne ménage pas son lecteur, il sollicite toujours de sa part une attention soutenue. En effet le lecteur distrait pourrait s’égarer entre le réel et le virtuel, entre le récit du narrateur et celui du personnage. Le pacte des contes est en fait un roman qui en contient d’autres. Et puis surtout on assiste à quelque chose de fabuleux : les personnages, des êtres fictifs, virtuels, entrent dans la vie réelle, prennent corps, sous l’œil médusé de leur créateur.
C’est l’effet fantastique inverse de celui réalisé par Gudule dans La Bibliothécaire, un roman jeunesse que les adultes apprécieront bien plus à cause des références littéraires pas toujours à la portée de jeunes lecteurs. Les héros de ce roman font l’extraordinaire expérience d’entrer dans les livres, de vivre véritablement les aventures racontées dans ces livres, de faire la connaissance physique des personnages. Ils enjambent ainsi les limites temporelles, car nos jeunes héros rencontrent par exemple l’intrépide Gavroche des Misérables de Victor Hugo, ils tremblent de sa témérité, espèrent qu’il ne va pas se faire tuer sous les balles ….
On retrouve d’ailleurs Gavroche dans Le Pacte des contes, où cette fois ce sont les personnages qui quittent leur monde de papier pour connaître la vraie vie. Ainsi Faris, personnage du roman que Palingus est en train d’écrire, devient un vrai humain, avec l’avantage sur les autres humains de lire dans les pensées de son créateur Palingus. Mais n’oublions pas que nous sommes toujours dans la fiction, car Palingus est lui-même le personnage principal du roman non encore publié, La rade des voluptés, que ses concepteurs Iyédi et Ngabouyédi ont soumis à leurs lecteurs, afin qu’ils puissent faire leurs suggestions quant à la trame de l’histoire.
Faris se rebaptise « Lyman » pour sa vie de personnaute. On dit bien internaute pour désigner toutes celles et tous ceux qui naviguent dans le monde virtuel qu’est l’Internet ? Eh bien Philippe MAKITA a trouvé le concept de personnaute pour qualifier les êtres virtuels qui viennent ‘‘en personne’’ dans notre monde physique.
En bref, le pacte des contes est un roman où l’auteur a voulu donner le meilleur de lui-même : il parle de son plaisir d’écrire, réfléchit sur la condition de l’écrivain, exprime surtout son amour de la littérature ; c’est à mon sens ce qui lui donne le plus de charme, car un livre doit entre autres nous faire aimer les livres, il doit nous donner envie de lire, il doit être en quelque sorte une célébration de la littérature. C’est ce que sont, sans aucun doute, Le pacte des contes de Philippe MAKITA, La Bibliothécaire de Gudule, Verre cassé d’Alain MABANCKOU... Bien entendu ce ne sont là que quelques échantillons des livres de la bibliothèque mondiale qui fêtent la littérature.
Le Pacte des contes est aussi, pour tout congolais – loin du pays en particulier – un moyen de retrouver son Congo natal, car l’auteur non seulement évoque certains endroits mais insère aussi des expressions lingala ou kituba.
Philippe Makita, Le Pacte des contes, Editions La Bruyère, 2004, 142 pages.