Au lendemain des annonces de François Fillon sur le nouveau plan d'économies proposé au Parlement le mois prochain, les réactions étaient mitigées. Nicolas Sarkozy n'était pas là. Il s'est
affiché en Chine, comme convenu. A Paris, le compte n'y était pas.
Les traits tirés, Nicolas Sarkozy a commenté seul les conclusions de
ces « entretiens » avec le président de la plus grande dictature du monde. Avait-il mal dormi dans le lit double de son Airbus A330 ? « Le président Hu Jintao n'est pas inquiet de la
situation de la zone euro et il nous a indiqué la confiance qu'il avait dans l'euro », a rapporté Nicolas Sarkozy à quelques journalistes qui l'accompagnaient. Son escale chinoise fut rapide
(5 heures sur place) et couteuse, avec plusieurs ministres mobilisés (dont François Baroin, le ministre de l'économie et des finances). Quoi d'autre ? Rien. Le président français a simplement
répété qu'il fallait que des « décisions » soient prises au prochain G20 à Cannes en novembre. Il a raison. Cela fait bientôt un an qu'il « préside » l'organisation des G8 et
G20 et on s'achemine vers un fiasco des plus complets. Le dictateur chinois a décliné tout commentaire officiel.
En France, on dressait le bilan des annonces de François Fillon de la
veille. La Bourse n'avait pu réagir sur le moment. Jeudi, elle a fléchi. Les annonces de la veille étaient globalement ignorées. Le premier ministre
avait calé son point après la clôture des marchés. La presse fut globalement négative. Le Figaro, bien sûr, fut dithyrambique. Sarkozy avait voulu
« laisser la primeur des annonces à son premier ministre », lequel, dixit le quotidien, a présenté un « vaste plan anti-déficit». Fichtre ! Aurions-nous mal compris ?
L'un des premiers articles de l'AFP était plutôt cinglant: «
Les riches contribueront, de manière cosmétique, à la lutte anti-déficit ».
« Les riches ne donneront que 200 millions d'euros en 2012 » titrait la Tribune jeudi matin. « Le recul fiscal de Sarkozy le met en difficulté sur son
bilan » complétait Reuters. Dans le monde politique, les critiques étaient légions, de Martine Aubry, Marine Le Pen, Benoît Hamon à Jean-Luc Mélenchon. Même à droite certains n'hésitèrent pas.
Jean Arthuis, président centriste de la commission des Finances du Sénat, a ainsi lâché à propos de « la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus » (200 millions d'euros de
recettes attendues l'an prochain): « C'est assez symbolique et dérisoire ». A l'étranger, les jugements n'étaient pas
plus cléments. Les mesures sont insuffisantes, jugeait une économiste allemande de la Commerzbank. L'un de ses confrères, à Capital Economics,
jugeait même qu'« il est improbable qu'elles éviteront à la France de perdre sa note AAA au bout du compte ».
Les critiques portaient sur le fond: le plan est jugé insuffisant et injuste. Nicolas Sarkozy lui-même avait prévenu dès
mercredi matin: « Ce n'est pas de la rigueur. Ne nous trompons pas !».
Valérie Pécresse a tenté de justifier l'équité du plan gouvernemental.
Selon elle, les ménages aisés contribueront à hauteur de 3,7 milliards d'euros sur les 11 milliards d'économies annoncées, évoquant les autres coups de rabots sur quelques niches fiscales.
Fillon, sur TF1, a complété: « 83% du plan porte
sur les entreprises, les détenteurs de patrimoines et les ménages très aisés ». Quelle précision ! Effectivement, les services du premier ministre avaient remis mercredi soir quelques
petites fiches aux journalistes, afin de leur faciliter les calculs. Le story-telling est plus efficace quand on mâche un peu le travail. L'addition gouvernementale des recettes fiscales
attendues sur le dos des ménages aisés était donc toute simple:
- une contribution exceptionnelle et temporaire de 3% des revenus des ménages supérieurs à 500.000 euros par an et par part
(que François Fillon ne savait dénombrer mercredi soir !): +200 millions d'euros.
- Une augmentation de 1,2 point des prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine (intérêts, dividendes, plus-values,
produits d’assurance-vie, revenus fonciers...), dont, « selon l’INSEE, près de 60 % des revenus du patrimoine sont perçus par les 10% de ménages dont le niveau de vie est le plus
élevé » : 1,3 milliard d'euros en 2012 X 60% = 780 millions d'euros.
- La suppression de l'abattement dérogatoire pour durée de détention sur les plus-values immobilières (hors résidence
principale, qui reste exonérée), « au profit de la prise en compte de l'inflation réelle » (en considérant que la mesure ne concerne que les ménages aisés): 2,2 milliards
d'euros.
Mais il est plus instructif de compléter l'addition avec les autres mesures.
Il y a d'abord les autres mesures de « rigueur » pour le plus grand nombre:
- La suppression de l'exonération partielle de taxe spéciale sur les conventions d'assurance pour les contrats «
solidaires et responsables ». En échange, le gouvernement imposera d'un un malus de 9 % les contrats non solidaires : +1,1 milliard
d'euros.
- La hausse du forfait social, un « impôt minimal » créé par Sarkozy en 2009 et qui concerne les revenus exonérés de
cotisations sociales, de 6% à 8%: +410 millions d'euros.
- L'application de la CSG au complément du libre choix d’activité (un revenu versé par les CAF pour le parent s'arrêtant de
travailler pour s'occuper des enfants), dans les mêmes conditions que les autres revenus de remplacement : +140 millions d'euros.
- La réduction de l'abattement forfaitaire pour frais professionnels de 3% à 2%: +550 millions d'euros. Le gouvernement rappelle que cette déduction initiale de 3% visait à compenser, pour les salariés, le fait qu'ils ne peuvent déduire
autant de frais professionnels de leurs revenus que les professionnels indépendants.
Il y a celles qui sont incohérentes ou incompréhensibles (550 millions d'euros en 2012):
- L'application du taux normal de TVA (19,6%) aux entrées dans les parcs à thème: +90 millions d'euros. Le gouvernement explique que les parcs aquatiques, les jeux de plein air (balançoires, toboggans...), et les activités sportives sont
déjà « soumises au taux normal de TVA» et qu'une différence de TVA créait une « distorsion de concurrence ». Après Astérix, le Futuroscope et Disneyland... les théâtres
?
- La hausse de la fiscalité et des prélèvements sociaux sur les alcools forts, « seconde cause de mortalité évitable par
cancers après le tabac »: +340 millions d'euros. Le cancer est une excuse facile. Mélanger des enjeux de santé publique avec la lutte
contre les déficits est une très mauvaise idée. Si nous n'étions pas aussi endetté, accepterions-nous davantage de cancer ?
- Une nouvelle taxe sur les boissons
sucrées, car, rappelle le gouvernement , « entre 1997 et 2009, le poids moyen des Français a augmenté de 3,1 kg alors que leur taille progressait de 0,5 cm » : +120 millions d'euros. Sans déficit, tolérions-nous davantage d'obésité ?
Il y a aussi les mesures insuffisantes: Fillon prévoit une hausse de 5% à 10% de la quote-part des
plus-values de long terme sur les titres de participation soumise à l'IS, soit +250 millions d'euros. Pourquoi ces plus-values restent-elles
autant exonérées ? Le débat fiscal n'a pas eu lieu.
Il y a aussi ces mesures dont on se demande pourquoi elles n'ont pas été adoptées plus tôt. Nous ne sommes
plus dans la rigueur mais dans le nettoyage.
- L'augmentation de la taxe sur les véhicules de sociétés, en fonction d'exigences environnementales: +100 millions d'euros. La fiscalité écologique version Sarkozy est vraiment peu de chose...
- La limitation du report de déficits (antérieurs ou ultérieurs) des entreprises, « dans le cadre de la convergence
franco-allemande »: +1,5 milliard d'euros.
- La suppression de l'abattement de 33% sur le bénéfice imposable des entreprises dans les DOM: +100 millions d'euros.
- Le relèvement des cotisations sociales du secteur de l'énergie (sur le régime commun): +210 millions d'euros.
- l'harmonisation de l'assiette de la contribution sociale de solidarité des sociétés (0,16% du chiffre d'affaires):
+100 millions d'euros.
Il y a également quelques économies mesquines, sans rupture ni effort. Le gouvernement saupoudre.
- La suppression de l'abattement pour frais professionnels pour les revenus d'activité hors salaires (participation,
intéressement, etc): +70 millions d'euros.
- L'augmentation des prix du tabac de 6% en 2011 et de 6% en 2012, sous prétexte de santé: +600 millions d'euros.
Il y a aussi et enfin les mesures oubliées: la Cour des Comptes, rappelait l'AFP, avait déjà dénoncé combien l'impôt sur le
revenu est paradoxalement devenu dégressif pour les ménages les plus aisés grâce à l'ampleur des niches fiscales. Le gouvernement ne touche finalement pas à grand chose de significatif. Il rabote
mais il ne change rien de fondamental. La France compte près de 500 niches fiscales. Le gouvernement s'est ainsi bien gardé de toucher à la TVA à taux réduite de la restauration.
L'année prochaine, buvez du Coca chez MacDo, ce sera encore moins cher que de l'acheter
en magasin !