Il s’agit en effet d’un roman témoignage où une fille, romancière à succès, ressent le besoin d’enquêter auprès de ses proches sur la vie de sa mère longtemps atteinte de violentes crises délirantes qui vient de se suicider à soixante et un ans.
Ce n’est pas une entreprise facile et se replonger dans les souvenirs des uns et des autres, remuer un lourd passé partagé par tant de proches issus d'une famille nombreuse, tout cela est très douloureux et demande à l’auteur beaucoup de courage, de persévérance et de volonté.
Delphine de Vigan ne nous cache rien de ses difficultés à écrire sur un sujet aussi perturbant que les secrets d’une grande famille bourgeoise et catholique d’après guerre qui «incarne ce que la joie a de plus bruyant, de plus spectaculaire» mais qui tait jalousement tant de secrets que tous voudraient oublier, voire nier mais surtout pas publier: suicides de jeunes fils, inceste, trahisons, maladies , alcoolisme, rien ne nous est épargné.
«Écrire sur sa famille est sans aucun doute le moyen le plus sûr de se fâcher avec elle. …Je tire à bout portant et je le sais. ». Et d’évoquer «la terreur dans laquelle m’a plongée la lecture du très beau livre de Lionel Duroy, Le chagrin, qui revient sur son enfance et raconte la manière radicale et sans appel dont ses frères et sœurs se sont éloignés de lui…il est le traître, le paria.
La peur suffit-elle à se taire ?»
J’ai aimé que ce drame avant tout personnel et familial soit aussi étroitement relié à la vie sociale, politique et culturelle de son époque. Y sont évoqués mai 68 et la libération des mœurs, la victoire de Mitterrand et les grands espoirs qu’elle a suscités, les émissions célèbres comme ce passage chez Pivot d’un couple de leur famille qui racontait déjà la vie vécue auprès d’une malade qu’on disait encore maniaco-dépressive.
«J’espérais que l’écriture me donnerait à entendre ce qui m’avait échappé, ces ultrasons indéchiffrables pour des oreilles normales, comme si les heures passées à fouiller dans des caisses ou assise devant un ordinateur pouvaient me doter enfin d’une ouïe particulière,plus sensible, telle qu’en possède certains animaux et, je crois, les chiens. Je ne suis pas sûre que l’écriture me permette d’aller au-delà de ce constat d’échec » « Non, personne ne peut empêcher un suicide ».
La photo de la couverture est celle de Lucile, sa mère «à la table familiale de Versailles ou de Pierremont» «Le noir de Lucile est comme celui du peintre Pierre soulages. Le noir de Lucile est un Outrenoir, dont la réverbération, les reflets intenses, la lumière mystérieuse, désignent un ailleurs.»
Un autre peintre souvent évoqué aussi est Gérard Garouste et son livre «L’intranquille» où il est question de la même maladie.
C’est mon deuxième livre de la rentrée 2011 et j’en recommande vivement la lecture comme le font Clara, Canel, mais pas Émeraude qui ne l'a pas apprécié.
Une interview de Delphine de Vigan ICI
Rien ne s’oppose à la nuit, Delphine de Vigan (JCLattès, 437 pages, août 2011)