Au nom des vitres cassées du monde entier

Publié le 26 août 2011 par Copeau @Contrepoints

Au lendemain du tremblement de terre de la Côte Est des États-Unis, le vitrier de Bastiat avait du pain sur la planche.

Par Katherine Mangu-Ward (*), depuis les États-Unis
Un article de la revue Reason

Voici, au sujet du tremblement de terre de la Côte Est du 23 août 2011, une phrase que le Prix Nobel d’économie et éditorialiste du New York Times Paul Krugman n’a pas écrite :

Les gens sur twitter peuvent bien en rire, mais là je parle sérieusement : on aurait vu une forte augmentation des dépenses et donc de la croissance économique si le séisme avait fait plus de dégâts.

Il s’avère qu’un imposteur avait bricolé un faux compte Google+ sous le nom de Paul Krugman durant plus d’un mois. C’était censé être une parodie, mais personne ne s’en ait aperçu (bien que les lecteurs du blog Freakonomics aient pu s’en douter en premier) jusqu’à ce que cette phrase soit abondamment relayée, après le séisme.

Cette fois-ci Krugman n’en était pas l’auteur (cliquez ici pour un aperçu des articles où il a utilisé une logique similaire), mais ce sophisme dénoncé par Bastiat dans sa parabole de la vitre cassée est plus que jamais d’actualité en ce lendemain de tremblement de terre.

Voici un bref rappel de cette fable économique, pour ceux qui n’ont pas fréquenté l’école depuis un moment.

Le fils d’un commerçant brise la vitrine de son père et un attroupement se forme. Les passants pleins de bonnes intentions trouvent un côté positif à l’incident : « Il faut que tout le monde vive. Que deviendraient les vitriers, si l’on ne cassait jamais de vitres? » Bastiat nous prévient que « si, par voie de déduction, on arrive à conclure, comme on le fait trop souvent, qu’il est bon qu’on casse les vitres, que cela fait circuler l’argent, qu’il en résulte un encouragement pour l’industrie en général, je suis obligé de m’écrier : halte-là! Votre théorie s’arrête à ce qu’on voit, elle ne tient pas compte de ce qu’on ne voit pas. » En effet, les six francs que notre commerçant utilise pour la réparation de la vitre sont maintenant dépensés. Si la vitre n’avait pas été brisée, il aurait pu avoir non seulement une vitrine intacte, mais également une nouvelle paire de chaussure, ou peut-être un livre.

Il y a bien eu quelques vitres cassées lors de la secousse sismique de la côte Est. Mais, les tremblements de terre (et les progénitures maladroites) ne sont pas les seuls à briser des vitres. Regardons quelques autres cas de vitres brisées de par le monde, et voyons comment cela a été accueilli par leurs propriétaires.

Tout d’abord, l’histoire d’une vague de vandalisme autour de l’étang de la ville galloise d’Abergele. Muhim Uddin, gérant d’un restaurant indien, The Spice Market, raconte à un journal local :

« C’est déjà bien assez dur sans ces dépenses imprévues… Mais les réparations doivent être faites. Ce n’est pas bon du tout. »

Dans la même ville, Moira Byrne, du Jade Leaf Cafe, souligne un autre coût caché :

« Souvent, il n’est pas intéressant de faire jouer votre assurance pour réparer une vitre car cela fait augmenter la prime. »

Il y a également eu une vitre cassée particulièrement intéressante dans une prison néo-zélandaise, le 24 août aux premières lueurs de l’aube :

« La police a été dépêchée cette nuit à la prison de Mt Eden après qu’une vitre sécurisée près de la salle de contrôle de la prison a été brisée. On signale une importante force de police autour de cette prison afin de veiller à ce que personne ne tente de forcer l’entrée ou de s’évader. »

Pensez à toutes ces heures supplémentaires, en sus de la nouvelle vitre !

Des vandales ont aussi récemment dégradé la région du port de San Pedro à Los Angeles. Le propriétaire du Harbor Medical Uniforms a vu l’une de ses vitres détruite à coup de batte de base-ball et il souligne que chaque vitre cassée lui « coûte un bras » : $170 pour un panneau de contreplaqué afin de couvrir temporairement le cadre sans fenêtre, puis $700 pour la vitre en question.

« Je m’en sors à peine » avec tout cela, dit-il, en faisant référence à la situation économique. « Il s’agit d’une affaire de famille. »

Le propriétaire éponyme de Maral Designs, située non loin, ajoute :

« C’est déjà assez dur en ce moment, [on n’a pas besoin de] ces dépenses supplémentaires. »

Aucune des brèves couvrant ces événements ne mentionne l’existence d’attroupement de gens bien intentionnés qui tireraient de mauvaises conclusions économiques à propos de l’infortune des commerçants (ou des gardiens de prison). Mais ces derniers ont parfaitement raison : l’argent utilisé pour réparer les dégradations est perdu et les dépenses imprévues sont plus difficiles à supporter lorsque les temps sont durs.

Pour conclure avec les mots de Bastiat :

Nous arrivons à cette conclusion inattendue : « la société perd la valeur des objets inutilement détruits, » — et à cet aphorisme qui fera dresser les cheveux sur la tête des protectionnistes: « Casser, briser, dissiper, ce n’est pas encourager le travail national, » ou plus brièvement : « destruction n’est pas profit. »

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(*) Katherine Mangu-Ward est éditorialiste au magazine Reason.

Article original publié le 24 Août 2011 sur Reason Online.
Traduction: MXI et JATW pour Contrepoints.