J’étais un gamin de cinq ou six ans, les années cinquante étaient largement entamées et Noël approchait. J’avais depuis longtemps déjà rédigé ma lettre au bonhomme en houppelande rouge et cette année, au lieu de réclamer une liste disparate de jouets dans laquelle le brave homme pourrait piocher selon ses moyens ou ses disponibilités, j’avais fait une fixation, je voulais des petites automobiles. Exclusivement.
Arriva la douce nuit et au petit matin, sous le sapin une multitude de petits paquets m’attendaient. Parents, oncle et tante, grands-parents, chacun pour combler le gamin et satisfaire son désir avait participé et il me fallut un long moment pour déballer toutes mes petites autos. Si les DinkyToys étaient légion, des Norev complétaient le parking. Déjà, les secondes me firent piètre impression, en plastique elles paraissaient moins costaudes et donc moins « vraies » que les lourdes Dinky Toys en métal.
Au milieu de cet étalage de voitures, Salon de l’automobile privé, trônait ce que j’avais imaginé être la pépite entre les pépites, la fameuse Etoile Filante. Petit rappel historique pour mieux comprendre mon engouement pour ce modèle. Conçue par la Régie Renault, le projet naît en 1954, il s’agit d’un bolide expérimental, une turbomachine de 270ch qui m’avait éblouie quand elle avait battu le record du monde de vitesse (308,85 km/h) lors d’un essai en plein air, sur le lac salé de Bonneville aux Etats-Unis, le 5 septembre 1956. J’imagine, car à la vérité je n’en ai aucun souvenir, avoir vu des images de cet exploit sur la télévision toute neuve de mes grands-parents, un poste énorme qui occupait une belle place dans leur logement. Mon grand-père, modeste ouvrier et ma grand-mère, concierge, s’étaient offert un super luxe, car les postes de télévision chez les particuliers, avant les années soixante, étaient peu courants. Pour regarder les émissions, les gens stationnaient devant les vitrines des marchands d’électroménager qui avaient toujours un poste allumé, en guise de démonstration et d’appât à clients.
J’avais donc du être fort impressionné par ces images, puisque tout d’un coup j’étais devenu fou de voitures. En ce 25 décembre, j’étais propriétaire d’une formidable écurie de petites voitures depuis une heure à peine, que déjà je compris que je m’étais fourvoyé. Après avoir fait rouler l’une et l’autre, lancé à travers la pièce sur le lino mon Etoile Filante pour tester sa vitesse de pointe, simulé un ou deux accidents, dépieuté les roues d’une voiture de ses pneus, ouvert les portes ou le capot de celles qui le permettaient, j’avais fait le tour des possibilités de jeux et il me restait encore un an entier à tenir avant le prochain Noël !
Les encouragements de mes parents n’y firent rien, leur émerveillement forcé devant mes «tutures », notre contemplation commune du magnifique bleu de mon Etoile Filante, rien ne put me consoler de ma déception. Déception muette, car je ne pouvais pas me plaindre, seul responsable de cette déroute. Durant quelques jours, j’ai du chercher comment trouver un plaisir à jouer avec ces bagnoles idiotes, ne trouvant pas, elles furent remisées dans le coffre à jouets. Ma vie commençait à peine, elle débutait par une grande désillusion. Je ne sais pas s’il faut y voir un rapport de cause à effet, mais depuis je n’ai jamais plus été attiré par les voitures. Les courses automobiles m’ennuient au possible et j’ai même arrêté de conduire depuis une petite vingtaine d’années…