Toujours est-il que Katiba commence par le massacre de quatre touristes italiens sur une route mauritanienne. L’opération terroriste avait été montée pour prendre des otages et en tirer une bonne rançon. Impréparation, inexpérience des exécutants: l’échec est total. Dans la katiba – camp de combattants islamistes – dont il est le chef, Abou Moussa annonce une grande décision: malgré l’interdiction d’Abdelmalek, chef suprême de l’organisation, il va se remettre en contact avec Kader, jugé plus efficace. Mais suspect de faire passer le commerce avant la foi…
C’est le début d’un thriller très efficace, qui remet en scène l’agence de renseignements Providence imaginée par l’auteur dans son précédent roman, Le parfum d’Adam. En des temps où l’élection d’Obama inquiète les partisans de la lutte contre «l’axe du mal» désigné par son prédécesseur, une officine privée possède une liberté d’action dont l’administration américaine est dépourvue.
Voici donc, au cœur du Sahara, dans un vaste territoire où les frontières sont immatérielles et où règnent des bandes armées, une guerre nouvelle. Avec les moyens les plus sophistiqués de la technologie moderne, Providence surveille et agit. Ses hommes sont partout. Mais c’est une femme étrangère à l’agence qui trouble le jeu: Jasmine, au service du protocole du Quai d’Orsay depuis cinq mois, est sur l’échiquier géopolitique une pièce mal définie. Jeune veuve d’un consul avec qui elle a vécu deux ans à Nouadhibou, en Mauritanie, elle a fait en Afrique plusieurs voyages qui la désignent comme «mule», transporteuse de drogue. Si elle y retourne aujourd’hui sous couvert de mission pour une ONG, c’est probablement qu’elle cache quelque intention moins avouable…
Le roman est un kaléidoscope qui jongle avec la géographie, les alliances, les trahisons. Sa complexité s’accroît au fur et à mesure qu’on en découvre les ramifications. Les forces engagées dans la manœuvre seront toujours plus importantes qu’on le pensait. Et le but final, plus obscur qu’il était possible de l’imaginer.
Jean-Christophe Rufin jongle avec tout cela sans rater un mouvement. S’il est, comme il semble le démontrer ici, un grand lecteur de John Le Carré, il a parfaitement assimilé la leçon. Elle consiste, entre autres choses, à ne jamais lâcher son lecteur en cours de route, quitte à lui faire prendre parfois, le long de cette route, des vessies pour des lanternes. Cela n’éclaire pas beaucoup, juste assez pour pousser jusqu’au point de lumière suivant, puis au suivant, etc., jusqu’au bout. Qu’on atteint avec soulagement et regret. Le soulagement, vous verrez pourquoi. Le regret, parce que la dernière page a été tournée.