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Le rapport Coulon sur la dépénalisation du droit des affaires était remis ce mercredi à Rachida Dati, qui en profitait pour donner une interview dans les Echos du même jour.
Dès la première question, la ministre de la justice va droit au but : « Le droit pénal des affaires est un droit qui manque aujourd’hui de cohérence, de lisibilité et donc d’efficacité. Le droit ne peut être un frein à l’initiative économique ». La question qui se pose naturellement est donc : l’initiative économique peut-elle être un frein au Droit ? Et la réponse, parfois positive à mon avis, nous est fournie dans un article du Monde de février 2007, qui évoquait la publication du rapport annuel du Conseil des prélèvements obligatoires. Le montant annuel de la fraude fiscale et sociale équivaut grosso modo au déficit budgétaire de l’Etat (36.2 mds €) et était estimé en 2007 dans une fourchette de 29 à 40 milliards d’euros.
Quant « l’initiative économique » a les coudées tellement franches qu’elle engendre une délinquance en col blanc qui se chiffre en dizaine de milliards, il est effectivement urgent de revoir le droit pénal des affaires. Mais pas forcément dans le sens prévu par Dati. Et dans ces moments là, on ne peut que s’interroger sur le peu d’articles ou d’appétit des journalistes à mettre ces chiffres en perspective avec le coût financier de la délinquance dite ordinaire, ou réservée à ceux pour qui les délits d’initié, abus de biens sociaux et autres joyeusetés fiscales (sur le mode allemand ?) sont de facto inaccessibles.
Le coût de la délinquance « ordinaire » est évalué lui à 10 milliards d’euros. On est donc dans un rapport de 1 à 3 voire 4.
Toujours dans le même article, Mme Dati prêche pour « une politique claire de répression des infractions financières », car « aujourd’hui, des parquets classent certains « petits » délits financiers alors que d’autres poursuivent systématiquement » ! Mais Mme Dati découvre la justice ou feint la naïveté ? Pourquoi tous les people ont-ils une affection particulière pour le Tribunal de Nanterre lorsqu’il s’agit de réclamer des dommages et intérêts à des titres de presse ? Pourquoi le fait de se faire attraper avec une barrette de shit vaut selon le tribunal où l’on sera jugé, la relaxe ou des mois de prisons ?
En conclusion, et pour répondre à cette mâle déclaration que « le droit ne peut être un frein à l’initiative économique », je ne peux qu’inviter Mme Dati à lire, si ce n’est déjà fait, le livre de Roberto Saviano, Gomorra, qui nous plonge dans l’empire de la mafia napolitaine, la Camorra. On y voit en effet à quel point réseaux mafieux et réseaux économiques sont profondément imbriqués, jusqu’à ne plus savoir parfois qui est qui.
Alors oui à la cohérence juridique, mais de grâce ne nous dites pas que le droit est un frein à l’initiative économique ! Car sans droit, et on peut écouter l’avis de Robert Reich – « les entreprises ne peuvent pas être socialement responsables », c’est la planète qui risque d'être à la merci des grandes entreprises, et alors adieu le Droit…à entre autres une planète durable.