A la question de savoir comment aura évolué le jeu vidéo d'ici 10 ans, force est de reconnaitre qu'à l'heure actuelle, personne ne serait vraiment en mesure de dresser un tableau disposant de détails aussi fins qu'un Monet. A l'heure où nous parlons, qui a un jour imaginé que nous serions capables de jouer sans manette ou encore avec de tels graphismes ? Soit les fous soit les visionnaires. Justement, cette dernière catégorie planche déjà sur ce à quoi l'on peut s'attendre pour la prochaine décennie. Du moins, c'est déjà le cas du côté de Sony qui compte bien pousser encore plus loin les limites actuelles en implicant davantage le joueur. Comment ? En décryptant les émotions et en les mettant au coeur du gameplay. Mais aussi arriver à un très haut niveau technique, à savoir les graphismes très "humanisés" et une intelligence artificielle plus qu'efficiente et qui en perdrait presque son adjectif. Tout un programme presque sorti de l'imagination d'un Barjavel ou d'un Spielberg. Et pourtant...
Deux pontes de Sony se sont ainsi exprimés au cours de la gamescom au sujet de leur vision du jeu vidéo en 2020 : Shuhei Yoshida, le PDG de Sony Worldwide, ainsi que Mick Hocking, responsable de la 3D pour la firme nippone. Et mon petit doigt me dit que le département R&D doit être bien affairé en ce moment. En effet, le boss de Sony énonce déjà ses souhaits :
"Je pense que ce que veulent les gens dans 10 ans est la reproduction parfaite d'un humain dans sa forme digitale, là où vous ne seriez plus capable de déceler de différence entre la réalité et le digital. Dans votre réalité, c'est un humain. Dans 10 ans, serons-nous capable d'interagir directement avec les personnages d'un jeu ? Dans Uncharted, on peut voir qu'ils se rapprochent de plus en plus près d'une réelle performance d'acteurs avec de très bons scripts et une grande interaction, mais malgré le fait qu'ils soient le plus proche de la cible, c'est toujours une performance d'acteur qu'on a en face."
Au-delà de l'aspect purement visuel, c'est bel et bien le fond qui est au coeur du brainstorming plus que la forme, elle-même tributaire des avancées technologiques des constructeurs. Ainsi, parmi les points à creuser, l'intelligence artificielle et la reconnaissance des mouvements... et des émotions. Aussi incroyable que cela puisse paraitre, l'avenir du médium se conjuguerait avec la symbiose entre le réalisme et la réalité. Avant d'avancer quelques arguments pour ou contre une telle chose et si surtout si cela serait bien vu par la plèbe, revenons à Sony qui voit là presque un renouveau dans la façon d'aborder le loisir :
"Est-ce que nous atteindrons une IA nous permettant d'interagir vraiment avec une personnage, d'avoir une conversation avec lui, lui montrer des objets à l'écran et qu'il reconnaisse nos requêtes ? Peut-être, et imaginez par exemple que vous jouiez à un soft comme L.A. Noire et que vous incarniez un témoin. Le jeu devra décider par lui-même si vous mentez, et non l'inverse car nous pourrons lire votre expression sur votre visage. Amener les joueurs à être eux-mêmes les acteurs, c'est vraiment quelque chose de très enthousiasmant."
Là où on reprochait la violation de vie privée à un fichier Edvige ou encore la divulgation de données privées de Facebook, il semblerait qu'en ce qui concerne le jeu vidéo, les faits se décantent du côté des constructeurs :
"Dans dix ans, on se plait à penser que l'on pourra créer une carte du joueur. Leurs expressions faciales, leur rythme cardiaque, vous pouvez imaginer une identité du joueur et apprendre leurs états émotionnels et aussi comprendre leur changement. Peut-être même que les réseaux sociaux commenteront ces données. La plus ciblée sera cette carte, mieux ce sera pour nous afin de proposer des expériences qui arrivent à faire des ascenseurs émotionnels. Si les gens se sentent tristes dans le jeu, à nous de les rendre heureux. Ce serait bien de penser cela réalisable d'ici 10 ans."
Autant dire que là, on dérive complètement en passant d'idées utopistes sur le papier à quelque chose flirtant vers la dystopie et le totalitarisme de données qu'on ne veut pas forcément partager avec tout le monde. Puis débloquer un trophée "Crise cardiaque évitée", tout le monde s'en passera volontiers, surtout les hypocondriaques comme votre serviteur.
"Dans le futur, j'aime penser que les développeurs auront accès aux informations sur le joueur en temps réel et qu'ils pourront créer des activités dangereuses (sic)" conclut pour sa part Yoshida.
Mais on ne s'arrête pas à ce stade précis d'immersion puisque Sony a selon toute vraisemblance bien avancé sur les procédés holographiques :
"Les holographies sont définitivement réalisables au cours des dix prochaines années. Nous sommes déjà en mesure de produire un effet pseudo holographique grâce au head tracking du joueur sur des écrans 3D Sony équipés d'EyeToy. On peut faire sortir quelque chose de l'écran et regarder tout autour, ce qui est, vous en conviendrez, une expérience totalement différente de la 3D standard."
La conclusion est assez révélatrice du travail de recherche et développement des petits génies actuels et ne fait aucun doute que nous aurons prochainement l'occasion de papoter avec un hologramme tout en jouant :
"Nous n'en sommes qu'au début du processus avec les équipes R&D, donc nous sommes impatients de voir les game designers tirer parti de ces types de technologies et les voir travailler sur comment ils peuvent améliorer la jouabilité actuelle des jeux."
Que conclure d'une telle profession de foi pour l'émergence des sentiments au sein d'une expérience vidéoludique ? Plusieurs choses. D'une part, on ne peut nier que l'apport d'une immersion poussée accroit le plaisir procuré. Il suffit par exemple de voir le résultat avec Heavy Rain dernièrement et comment on s'amuse des actions de l'homme derrière le pad. C'est comme Bastien dans L'Histoire sans Fin : être le héros indirect renforce le lien indicible mais présent malgré des barrières virtuelles. L'idée de voir le gameplay reposer n'est pas nouveau et, même si elle n'en est qu'à ses balbutiements, les constructeurs y pensent. Kinect est une amorce vers cela. Le Vitality Sensor de Nintendo est déjà un pas en avant, même si la firme de Kyoto a récemment déclaré que seulement 87 % des personnes testées étaient compatibles avec le pulsomètre.
Mais d'un autre côté, n'est-il pas dangereux de franchir une porte peut-être pas résistante pour supporter tout le poids des conséquences. A l'heure où le secret médical est toujours de rigueur, on veut nous fouiller notre âme et certains pourront se sentir comme violés dans leur intimité. Est-ce qu'à une époque où on se replie de plus en plus sur soi on peut se permettre une émancipation de notre quotidien aux yeux de personnes qui analyseront nos faits et gestes ? Cela reste à voir, mais le débat ne fait que débuter, c'est certain.
Emotions ou pas dans le jeu vidéo, l'important reste que le médium demeure ludique, passionnel et continue à nous distraire du quotidien.