[Critique] TU SERAS MON FILS de Gilles Legrand

Duo de pères, duels de fils. Et vice versa. De ce quatuor en guerre dans les vignobles girondins, Gilles Legrand (Malabar Princess, La Jeune Fille et les loups) tire un drame familial intense aux arômes très coppoliens. Enfin détaché d’un cinéma un peu lisse, le cinéaste joue la carte de la noirceur, puisant toute la profondeur du film chez ses acteurs. D’abord, chez un Niels Arestrup au-delà des qualificatifs, absolument bluffant en patriarche tyrannique qui abhorre son fils, timide, maladroit, brave, interprété par l’excellent Lorànt Deutsch. Leur affrontement psychologique sert de vecteur à l’évocation d’intéressantes thématiques : la transmission, ou la complexité du rapport père/fils. Ensuite, chez un Patrick Chesnais royal, sobre, parfait en père effacé et malade ; face à un nouveau venu, Nicolas Bridet, en fils prodigue, charismatique et vénal dont on va, avec certitude, réentendre parler. Au milieu de cet univers de sournoiserie masculine, Anne Marivin, d’une fraîcheur salvatrice, offre un beau contrepoint de simplicité à ces tiraillements avinés. Leurs alliances disharmonieuses sur le papier s’accordent à l’écran, au diapason, Legrand se révélant très inspiré d’un point de vue formel.

Car, le film, cérébral par bien des aspects, transforme les tourments intérieurs des personnages en énergie visuelle âpre, hargneuse, dense. Ces déchirements entre hommes, au rendu particulièrement esthétique (merci Yves Angelo, à la photographie), se jouent tout aussi bien dans les extérieurs (les vignes), que dans les intérieurs (les caves), refusant tout manichéisme, sans pour autant tomber dans la fausse complexité (certains sont des salauds aux accents d’humanité, d’autres défendent une bonté souvent agaçante). Le cinéaste semble fasciné par le corps, familial d’abord (trahisons, manipulations, détestations sont au programme), masculin ensuite. Les plus fragiles sont chétifs ou rongés par la maladie, les autres sont lourds, massifs, charismatiques. Les étincelles produites par leurs entrechoquements sont splendides, pleines de la catastrophe à venir, annoncée dès l’ouverture, inéluctable. Le titre lui-même n’offre pas d’issue: Tu seras mon fils, il n’y a pas le choix. Ni pour les uns, ni pour les autres. Finalement, le film a tout de la tragédie grecque.