François Fillon n’est point homme à pratiquer la délation, et il est de bonne guerre de rendre grâce à son élégance qui lui a empêché de balancer les noms des différents ministres des Finances qui se sont succédés depuis 2002 et dont l’impéritie a obligé le Premier Ministre et son équipe à adopter une batterie de mesurettes de rigueur et d’austérité. Sans cette discrétion de violette, la vindicte populaire eut tôt fait de pendre ces gredins haut et court, car à cause d’eux tout un volet de la puissante pensée métaphysique tricolore risque de sombrer dans le néant.
En effet, au lieu de s’attaquer au cholestérol des sénateurs qui transforme le trou de la Sécurité Sociale en abîme aussi insondable que les cernes de M. Fillon, les gardiens de la corne à phynances (la graphie ubuesque est intentionnelle) ont cru de bon aloi d’augmenter la fiscalité de l’alcool et du tabac. Cette mesure inique prouve à quel point les dépositaires de la Loi méconnaissent la population tribale des PMU et autres bistroquets de nos faubourgs et de nos campagnes. A l’instar du chamane de la forêt nord-amazonienne qui puise dans l’ayahuesca et le yagé le carburant du vaisseau qui le transportera dans le monde des esprits, le pilier de comptoir trouve dans la Suze et le beaujolais matutinal de quoi repousser les frontières de son esprit et alimenter le plus brillant courant de pensée de la France des Lumières: la philosophie de comptoir.
De tout temps, la science de la sagesse et la dive bouteille ont entretenu des rapports cordiaux. Depuis Diogène de Sinope qui dormait dans une jarre, qui a théorisé le cosmopolitisme et à qui même Alexandre le Grand n’a pas osé dire « casse-toi pôv’con », en passant par les gargantuesques orgies rabelaisiennes, le raffinement des quatrains d’Omar Khayyam, ou la rude poésie urbaine de Charles Bukowski, tous les grands penseurs ont chanté le vin et les boissons fermentées qui apaisent la soif en été et prémunissent de l’hypothermie en hiver. Moi-même, quand j’écris ces chroniques, je siffle dans l’appeau bacchique pour convoquer ma Muse qui est une sacrée soiffarde .
Le froid rigoriste Emmanuel Kant, qui a conceptualisé et vécu (sic) une existence qui donne envie de mourir avant que d’être né, ne buvait pas une goutte du « sang de la terre ». Notre estimé Président que la planète nous envie, a confessé ne pas aimer le vin. C’est bien ingrat eu égard a la considérable gueule de bois que tiennent ses administrés depuis le début de son mandat.
Si Michel Onfray a débuté sa carrière littéraire et philosophique par un « Ventre des Philosophes » qui rapportait la pensée à la diététique, nous devons oeuvrer à un « Foie ontologique » qui sera un manifeste hédoniste où les buveurs d’hydrogène et d’oxygène (H2O) seront voués aux gémonies et interdits de mandats électoraux. Comme en atteste le proverbe, bonum vinum laetificat cor hominis, le bon vin réjouit le coeur de l’Homme, et l’empêche de noyer son désespoir dans la bave haineuse et visqueuse d’un parti fasciste que je ne citerai pas pour ne pas faire de peine à Mme Le Pen.
Plutôt causer de la crise qui ampute leur budget Picon Bière de façon dramatique avec Marcel et Roger à l’estaminet du coin de la rue, que parler de Kant avec le gloupinesque rentier BHL au Café de Flore. In vino veritas.