Paul de Brancion a adressé à Poezibao ce reportage sur le Festival de poésie de Sète.
Ville peuplée de vacanciers en tongs où Paul Valéry cuit dans son cimetière marin surchauffé déplanté d‘arbres, Sète, sur la mer, au bord de l’Etang de Thau, est un lieu poétique au centre de la vraie vie. Faite de lumière excessive, de platitude d’eau, de joutes maritimes, de beauté un peu facile, et presque douloureuse par moments.
Le festival de poésie Voix Vives donne à écouter dans leur langue originale des poètes de toutes les Méditerranées. On marche dans la vieille ville haute depuis la place du Pouffre. Sous les platanes, se trouvent le marché des poètes, un café, une fontaine, des éditeurs. Lieu paisible, passant et nonchalant, le marché est organisé par un homme fort sympathique, Sébastien Charles, qui se met en quatre pour aider éditeurs, poètes et tout un chacun à se trouver bien en ce lieu.
Dans les ruelles attenantes, sous des voiles blanches, devant le parvis d’une église, dans les cours, les jardins, sous les palmiers, des poètes disent des mots. Le souffle des libertés polyphoniques s’élève dans le ciel de l’été. Chaque jour, de 10 heures du matin à minuit, « lecture croissant », « lecture musicale apéritive », « sieste par les sons et par les mots », « lecture débat d’un monde à l’autre » … et chaque soir, un spectacle payant dans le sublime Théâtre de la Mer avec des grandes voix comme celles de Fanny Ardant, Carole Bouquet ou Juliette. Il faut souligner que, hormis les grandes représentations, tout est gratuit.
Au début cette profusion d’offres donne un peu le tournis. On s‘assied, on écoute puis soudain, il suffit d’un instant et l’on est sous le charme.
Impasse des Provinciales, j’ai eu le bonheur d’écouter Salma Khadra Jayyusi, une grande dame de la poésie palestinienne. Sa parole est claire , lumineuse : « Tu es beau et vivant, je déborde de pureté dans la mort, tu es beau et vivant, tu t’es libéré de moi…. Tu as changé, tu es beau et mort. » A un moment, elle parlait si bas, ne sachant pas tenir son micro, sa voix ne pouvait être entendue, image émouvante de la voix de son peuple exilé de lui-même. Puis le son est revenu. « Tu es beau et vivant, tu t’es libéré de moi pour t’enterrer tu as changé, tu es beau et mort. ». « Repose-toi croissant oh petite lune qui a perdu son ciel ».
Autre voix, autre musique, le croate Predrag Luciç : « Un vieux mendiant à Rome auquel nous n’avions rien donné nous a tout de même remerciés… nous a demandé quel vœu avions-nous fait, rien lui as-tu répondu, rien non plus ai-je répondu ». Ce jour-là était un jour de chance, j’ai aussi écouté Zeljko Ivankoviç, de Bosnie Herzégovine. « Je suis un mauvais visiteur…. Est-ce que tu as vu Dieu ? Avec Dieu on ne peut jamais savoir… » C’était un vendredi matin, et ses paroles tournent encore dans mon cœur et dans ma tête.
Autre approche de la poésie, les spectacles des performeurs comme Akenaton, Patrick Dubost ou Antoine Dufeu. Ils interrogent le sens et le son, de manière parfois magistrales. Ces recherches, dont la jouissance (jouissance de qui ?) n’est pas toujours absente, posant de nombreuses questions dont l’intérêt demeure vivant.
Par ailleurs, la scène libre accueille tous les poètes qui désirent lire leurs textes. L’association des Poètes Sétois y est très présente, preuve que ce festival s’ancre aussi fermement dans le tissu local.
A Voix Vives, on peut aussi écouter des musiciens qui viennent de tout le pourtour de la Méditerranée. Par exemple, Delechad Ahmad, remarquable kurde syrien qui jouait du violon, de l’oud et du violoncelle avec une infinie délicatesse et un grand respect des mots et des paroles de l’autre.
Plus de 100 poètes étaient présents à Vois Vives parmi lesquels, cette année Joël Bastard, Philippe Delaveau, la charmante portugaise Maria Joao Cantino, le syrien Nouri Al Jarrah, Sapho bien sûr, Pierre Tilman, les libanais Abdo Wazen et Abbas Beyddoun ou la poétesse Tal Nitzan israélienne qui nous dit :« Tu n’apaiseras pas l’humiliation du pauvre affamé et tu n’éteindras pas la soif brûlante de revanche, ni ne protègeras de ton corps la maison qu’on démolit et le landau de la petite fille montant au ciel en tempête, tu ne saisiras ni ne le reposeras doucement à terre – tu n’extirperas pas le règne du malin.
Retourne donc chez toi ».
Pour retrouver la richesse et l’extraordinaire diversité de l’édition 2011 de festival, on peut lire l’anthologie Voix Vives de Méditerranée en Méditerranée, sous une élégante couverture rayée bleu et bleu nuit, publié aux Editions Bruno Doucey. On y trouve un texte en langue originale de chacun des invités ainsi et sa traduction ainsi qu’une note biographique et bibliographique.
Je reviendrai d’ici peu de temps avec un entretien réalisé à Sète avec un invité du festival, Abdo Wazen, poéte libanais, qui nous parlera de l’histoire de la poésie arabe.
Voix Vives, dirigé avec ténacité et talent par Maïthé Vallès-Bled, est un lieu où les poètes de très nombreux pays se rassemblent se parlent, et nous parlent. Il faut que de nombreux festivals de poésie existent de part le monde car nous avons besoin de cette parole là. Pierre Pardon, excellent sculpteur vivant en Corse, me disait récemment : « La poésie structure le monde. Sans elle aujourd’hui celui-ci ne tiendrait pas ».
[Paul de Brancion]