Il y a une constance en Sarkofrance: Sarkozy n'est jamais là pour annoncer les mauvaises nouvelles.
Mercredi, Nicolas Sarkozy a laissé son premier collaborateur énoncer les mesures de « rigueur » qui doivent permettre à la France de recouvrir la « confiance » des marchés et maintenir, encore quelques mois, la fameuse note Triple A du pays auprès des agences de notation. On se souvient qu'en juin 2010, Eric Woerth avait du présenter seul la réforme des retraites. Sarkozy était resté terré à l'Elysée, pour confier à quelques journalistes triés combien il faisait son devoir.
Ce mercredi, tout était fait pour dégager Sarkozy des vraies mauvaises nouvelles du jour, et lui conserver le beau rôle. Une posture évidemment politique en prévision du prochain scrutin présidentiel.
L'agitation...
Ses conseillers lui avaient préparé un voyage ... en Nouvelle-Calédonie, un territoire bien lointain qui lui avait accordé 63% de ses suffrages exprimés en mai 2007. Officiellement, Sarkozy va inaugurer les Jeux du Pacifique, samedi. En réalité, le thème officieux du voyage est tout choisi, la sécurité. En métropole, le bilan de la lutte contre l'insécurité depuis 2007 est terrifiant. L'explosion du nombre de violences aux personnes est incontestable: 467.650 fin juillet 2011, versus 427.810 fin juillet 2006. Le maquillage statistique se contente désormais de noyer ces données dans la délinquance générale.
En Nouvelle-Calédonie, Nicolas Sarkozy jouera de sa grosse voix habituelle. Peut-être remplacera-t-il quelques fonctionnaires locaux - comme à Marseille, qui a un nouveau préfet depuis hier, le troisième en deux ans. Deux députés UMP l'avaient « alerté » voici trois semaines, évoquant, pour le premier semestre 2011, « une augmentation de 44,54 % de coups et blessures volontaires et de 60,87 % de destructions et dégradations ». En réponse, le Monarque a promis qu'il viendrait avec « un certain nombre de mesures qui [lui] semblent nécessaires pour contrer la hausse de la délinquance ».
Avant sa visite, qui ne débute que vendredi matin, Nicolas Sarkozy avait un emploi du temps chargé.
Mercredi, l'objectif était clair, et la démarche risible. Il fallait annoncer les mesures de rigueur pour rassurer les marchés, mais il fallait aussi et surtout dégager le candidat Sarkozy de cette vilaine affaire. Cette austérité, bien sûr, il ne l'a pas voulu. Et il ne faudrait pas que quelqu'un s'avise de la lui reprocher pendant la campagne de 2012 !
Ainsi, Sarkozy a d'abord tenu son conseil des ministres de rentrée. On s'attendait à quelques informations sur la rigueur ou la crise financière, le grand sujet de l'été. Une allusion au moins. Nada, rien, circulez... Le point n'était même pas à l'ordre du jour du Conseil des ministres !!
Sarkozy a préféré s'auto-féliciter de la situation libyenne. Il a déclaré (dixit sa porte-parole Pécresse), que « la ténacité des forces alliées avait payé (et) que le retour de la France dans l'Otan avait permis de renforcer son influence sur la scène internationale ». Il paraît aussi que « désormais la politique de la France dans les pays du Proche-orient et du Maghreb était claire et portait ses fruits, cette politique c'est que les tyrannies n'ont plus d'avenir face aux aspirations démocratiques des peuples ».
Ensuite, Sarkozy a rencontré Mahmoud Jibril, premier ministre du Conseil national de transition libyen et tenu un point presse. Le rendez-vous a été calé à 17h45. Coïncidence, le pauvre François Fillon devait présenter à la presse les mesures de rigueur à ... 18h.
Comme prévu, le Monarque n'a pas fait dans la modestie ou la mesure sur la Libye: « Les opérations militaires cesseront quand elles n'auront plus lieu d'être, quand M. Kadhafi et ses séides ne représenteront plus une menace pour le peuple libyen » Quand il parle de Kadhafi, Sarkozy parle ... comme Kadhafi.
Le pays est pourtant toujours livré au chaos, le clan Kadhafi introuvable, et nous apprenons chaque semaine de nouvelles révélations sur l'ampleur du rapprochement franco-libyen avant la révolution...
Le soir, Sarkozy aurait pu se montrer sur TF1 pour assumer l'austérité que son ministre venait de détailler à la presse. Non, il a laissé Fillon, encore une fois. Il a préféré dîner avec ses conseillers Copé et Hortefeux pour parler campagne, avant de s'envoler pour la Chine avec son Airbus présidentiel. Pour ce déplacement, l'aréopage est impressionnant. Sarkozy s'envole avec une petite flottille, dont son Airbus customizé, et un autre qui vole à vide (au cas où le premier tomberait en panne). Ce jeudi, il s'entretient avec le président chinois Hu Jintao, sur la crise financière. Cette rencontre ne débouchera sur rien de concret. Mais il faut convaincre l'électeur français que la crise est mondiale, que notre Monarque se démène comme il peut contre des éléments extérieurs défavorables. Mercredi, le Japon à son tour était dégradé par l'agence Moody's.
... et les vrais sujets
A Paris, François Fillon a donc tenu sa conférence de presse, à 18h, presque torpillée par le point presse de Sarkozy sur la Libye. Le Figaro nous avait prévenu que la France « devait » entamer une « sévère cure d'austérité ». La crise est mondiale, on vous le répète. Mais comme toujours en Sarkofrance, la cure est définitive pour les maigres, c'est-à-dire les classes modestes et populaires, et temporaire pour les plus gras.
C'était donc au premier ministre de nous annoncer les mauvaises nouvelles.
Le premier et fidèle des ministres commença par une excuse facile (« La crise économique et financière nous a conduit a creuser les déficits »), un grossier mensonge (« Sans cette crise, nous serions sans doute aujourd'hui à l'équilibre », alors que la Cour des Comptes a expliqué, dans sa livraison du bilan 2010 en février dernier, que le gouvernement Sarkozy avait accru le déficit structurel du pays de 0,6 point de PIB en 2009/10), et un auto-compliment habituel: « Depuis 2007, notre pays a conduit une politique de réforme structurelle et de maîtrise des dépenses publiques » (vous avez bien lu... « maîtrise des dépenses publiques »).
Conclusion attendue, il a constaté un « ralentissement très sensible de la croissance ». Les 2% espérés cette année ne seront pas atteints, Fillon table sur 1,75% en 2011 et en 2012. Quand la question fut posée à Sarkozy le 16 août dernier, le Monarque avait esquivé.
S'en suivit une litanie de slogans de multiple fois rabâchés: « Les fondamentaux économiques de la France sont solides » (aussi solides que les Etats-Unis ?); « notre pays ne peut pas vivre éternellement au dessus de ses besoins » (qui a accru la dette publique de 400 milliards d'euros depuis 2007 ?); « il ne faut pas sur-réagir aux variations quotidiennes des marchés » (Qui s'est donc précipité à Paris voici 15 jours ?).
Puis Fillon détailla enfin les fameuses mesures, évidemme,t guidées par la « préoccupation de l'équité ». Tout le monde paiera, mais les plus fortunés moins longtemps et moins fortement.
Comme il faut faire bonne figure et un peu diversion, le gouvernement s'est résolu à une contribution spéciale pour les ménages aisés. « Nicolas Sarkozy se résout à faire payer les riches », la une était belle, dans le Monde mercredi soir. Quelques très riches l'ont demandé publiquement ces dernières semaines. Cette contribution (« 3% sur le revenu fiscal de référence à partir de 500.000 euros ») sera, évidemment, temporaire, le temps de ramener le déficit budgétaire en deçà de 3% du PIB (c'est-à-dire jusqu'en 2013). Et pas question d'une tranche d'impôt supplémentaire, trop pérenne. Le gouvernement espère 200 petits millions d'euros en 2012.
Nicolas Sarkozy n'a pas non plus voulu toucher à l'une des plus grosses niches de son quinquennat, la TVA à 5,5% dans la restauration. La TVA restera aussi à 5,5% pour certains travaux du bâtiment (pour un coût d'environ 5 milliards d'euros par an). Mais, surprise du jour, Fillon a annoncé une majoration de la TVA sur « l'alcool, le tabac et les produits contenant des sucres ajoutés », pour « freiner la consommation de produits dont la consommation est un facteur de risques pour la santé ». « Nous aurons une hausse du prix du tabac de 6% quasi immédiate, puis une taxation supplémentaire qui sera mise en place en 2012 sur l'alcool et sur les boissons dans lesquelles on ajoute du sucre.». Si on peut réduire les déficits en améliorant la santé publique, pourquoi se gêner ? Après deux années de visites sarkozyennes à caresser l'électorat agriculteur dans le sens du poil, certains vignerons apprécieront le résultat... Autre hausse de la TVA, celle sur les billets des parcs à thèmes sera relevée de 5,5% à 19,6% (?). Taxer Disneyland, Coca et le pinard, c'était ça le plan de rigueur ?
Quelques 500 millions d'euros de crédits budgétaires seront également annulés. Fillon n'a pas précisé lesquels.
Sarkozy avait prévenu: pas touche aux niches qui aident l'emploi. En 2011, l'effort avait porté sur 22 niches, pour une dizaine de milliards d'euros (au total). Cette fois-ci, Fillon promet un nouveau « coup de rabot » général de 10% pour 2012. Il attend 11 milliards d'économies supplémentaires en 2012, via de « nouvelles réductions ou suppressions de dispositifs fiscaux dérogatoires », sans préciser lesquelles sauf la taxation des plus-values immobilières.
Le gouvernement va aussi plafonner la défiscalisation des heures supplémentaires, une brèche de plus dans la loi TEPA. Il n'ose pas reprendre à son compte la proposition du libéral Copé, la suppression de la durée légale du travail. Cette modification permettrait ... de faire disparaître, ou de fortement réduire, la notion même d'heures supplémentaires. On se garde l'idée pour la prochaine présidentielle.
L'alignement de l'imposition des revenus du capital sur celle des revenus du travail n'est pas non plus pour demain. Tout juste Sarkozy s'autorise-t-il à relever de 12,3% à 13,5% les prélèvements sociaux sur les revenus du capital «dans un souci de rapprochement de la taxation des revenus du capital et du travail». Il écorne également l'intéressement, la participation et l'épargne salariale, qui seront réduits à cause d'un relèvement du forfait social payé par les entreprises, de 6% à 8%.
Pour les entreprises, le gouvernement ne proposera pas la suppression de l'incroyable niche Copé, l'exonération des plus-values de vente des filiales de holdings qui a coûté 22 milliards d'euros en 3 ans. Un scandale dénoncé par la Commission des finances de l'Assemblée (et la Cour des Comptes). Par distraction, Fillon annonce simplement que « l'effort sera équitablement demandé entre ménages et entreprises », et prévu une harmonisation du report des déficits en matière d'impôts sur les sociétés avec les règles en vigueur en Allemagne.
Au bout de 30 minutes, questions comprises, le premier ministre clôt son intervention. C'était bien court. On attendait mieux. Pas sûr que les marchés apprécient.
Et Sarkozy n'était pas là pour assumer ni commenter cette austérité comme souvent à sens unique.
La trouille ?