Mariano Fortuny commença à fabriquer ses tissus légendaires dans les premières années du XXe siècle. Incroyablement durables avec un aspect presque mystique, ils devinrent vite très célèbres grâce à leur beauté inimitable et à leur versatilité.
Florence au quinzième siècle, Venise au dix-septième siècle, la Perse, l'Asie, l'Amérique du Sud, l'Egypte, la Chine et la Grèce : tous ces thèmes inspirèrent la production textile de Fortuny. Il utilisa ses compositions de teintes et de pigments basées sur les anciennes techniques des maîtres, conférant ainsi à ses matériaux un aspect ancien et authentique.
Au niveau international, ses contemporains applaudissent le travail de Fortuny parce qu'il allait au-delà de toute description et qu'il ne pouvait être exprimé en aucune langue. Les tissus de Fortuny étaient si entourés de mystère que des rumeurs infondées de sorcellerie et de magie commencèrent à circuler.
En 1927, la décoratrice américaine Elsie McNeil (appelée plus tard Elsie McNeil Lee, puis Comtesse Elsie Lee Gozzi) fut enchantée par la beauté des étoffes de Fortuny, qu'elle avait vues à Paris. S'étant rendue compte que ces étoffes pouvaient être mises sur le marché pour des résidences privées par l'intermédiaire de décorateurs et de designers, elle se rendit à Venise pour rencontrer le grand artiste. Mademoiselle McNeil le convainquit de sa propre intuition et devint bien vite sa proche confidente et l'unique distributeur de ses tissus et de ses vêtements aux Etats-Unis, au 509 de Madison Avenue. Après la mort de Mariano Fortuny, pendant une courte période, l'usine de la Giudecca resta inactive. Sur la demande insistante d'Henriette Fortuny, Elise Mc Neil Lee combla l'absence de Fortuny comme responsable opérationnelle. Elle était l'unique personne ayant une profonde connaissance des principaux aspects de l'activité - créatifs, techniques et commerciaux. Ses admirables efforts et son insistance incessante afin de maintenir le niveau de qualité élevé des tissus Fortuny contribuèrent à garantir que l'usine continue à travailler, pendant plusieurs générations après sa mort.
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Les jardins, les terrains et l'usine de la Giudecca
Construite sur la propriété d'un ancien couvent, très longtemps après avoir été fermé par Napoléon, l'usine de Fortuny sur l'île de la Giudecca a été ouverte en 1922. Fortuny avait acheté le terrain en 1919 à Giancarlo Stucky, un ami intime et propriétaire d'un moulin à blé dans le bâtiment adjacent. Fortuny avait besoin d'un très grand espace pour placer les machines qu'il avait inventées pour fabriquer ses tissus.
Pour couronner sa vision des choses, il fit construire l'usine selon ses instructions précises. Encore en fonctionnement aujourd'hui, elle est l'exemple monumental de l'esprit durable et entreprenant de Mariano Fortuny. De nombreuses personnes ont pu admirer la beauté de la zone sur laquelle se trouve l'usine à la Giudecca, sur invitation de la comtesse Gozzi. C'était une hôte généreuse, poussée par la passion de faire partager le phénomène Fortuny. Pour garder intacts les secrets de Mariano Fortuny, l'usine n'est pas ouverte aux visiteurs mais le jardin et le showroom sont ouverts au public sur rendez-vous.
Le Musée Fortuny à Venise, tout comme les showrooms de Venise et de New York, accueillent et exposent au public les souvenirs, les tissus et les autres oeuvres de Fortuny.
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Les procédés et les méthodes de fabrication compliqués de Fortuny ne pouvaient être reproduits ailleurs, sont toujours restés un secret gardé entre les murs de l'usine sur l'île.
Cette production incroyable et unique reste intacte, utilisant encore les machines et les méthodes utilisées par Fortuny lui-même, il y a presque un siècle. Le résultat est un tissu raffiné et inégalable. Chaque pièce est une oeuvre d'art unique. Avec les soins nécessaires, les tissus de Fortuny dureront pendant des générations et des générations, en vieillissant comme tous les objets d'art anciens.
Malgré les innombrables tentatives de copier le style de Fortuny et ses méthodes brevetées, notamment dans le domaine de la production de vêtements, de tissus et de lampes, nous savons qu'aucune autre usine ne peut égaler l'excellence, la couleur et le niveau de qualité élevé de Fortuny.
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Il fut un véritable homme de la Renaissance, qui produisait lui-même son papier photographique, reliait ses livres et concevait ses lampes et ses meubles. Il créa un des premiers interrupteur à rhéostat, inventa un propulsif pour bateaux et fabriqua seul ses couleurs, ses teintures, ses pinceaux et ses machines.
Il modernisa l'éclairage de la scène et donna de l'impulsion au design en équipant le Fortuny Dome, qui appliquait ses théories sur la lumière indirecte et diffuse. Même si elle est souvent méconnue, son influence sur la vie d'aujourd'hui n'en est pas moins incommensurable.
En 1897, à Paris, Fortuny rencontra sa muse, Henriette Negrin (1877-1965). En 1902 elle déménagea dans sa maison-atelier à Venise, au Palais Orfei. Plusieurs années plus tard, ils se marièrent. Avec le soutien continu de Henriette, Fortuny s'épanouit.
En 1907, il entra dans l'industrie de la mode en lançant une de ses oeuvres les plus dignes d'intérêt, la robe Delphos, principalement inspirée à la sculpture grecque. Il s'agissait d'un vêtement, élégant et versatile, qui semblait réaliser l'impossible : simplicité et complexité en même temps.
Ses vêtements révolutionnaires mettaient si bien en valeur le corps féminin en mouvement que des danseurs célèbres comme Isadora Duncan les désiraient ardemment.
Peu après, Fortuny commença à travailler sur les tissus, confectionnés encore aujourd'hui. La production de ces tissus représenta le sommet de ses connaissances en matière de technique, de couleur, de design et d'art, la manifestation d'un pur génie artistique. La passion de Fortuny pour les Beaux-Arts fut constante jusqu'à sa mort, dans sa maison de Venise, en mai 1949.
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Reportage photos de Cleia, Catherine Hédouin et Venetiamicio.
Je remercie Marjolaine Piccio pour son accueil, sa gentillesse et l'agréable moment passé avec elle, j'en aurais presque oublié de faire ces dernières images...
(la publication de ce billet et des photos autorisées par la maison Fortuny)