«
Je
suis le signe et je suis la demeure. » La Demeure d'êtres vivants, du moins le disent-ils. Ils ne font pas attention à mes murs. Ils les tachent de peinture couleur or noir, ils les martèlent,
les évident, les brûlent. Pourtant, autrefois, ils m’aimaient. Ils m’idolâtraient même : j’étais le sanctuaire de leurs arts, leurs relations, leurs idées. De tout cela maintenant, il ne reste plus
qu’un défoulement atroce contre moi, une envie malsaine de m’oublier, de faire comme si leurs pieds n’étaient pas posés sur ma hanche. Ma robe verte d’hier m’a été volé et je ne puis plus que porté
ce nouvel anorak beige qui ne ma va pas du tout. Ils m’ont violé. J’étais le signe de leur existence, la cause de leurs épopées. Ils m’ont violé. Je me sens changée. Ma porte grince, mon toit
coule, mon estomac gronde. Ça gronde, très fort, l’orage, l’ouragan, le tsunami et les tremblements. Je tremble. Mes fondations s’effritent et mes occupants n’en sont pas alertés. Qu’est-ce qui
m’arrive? Qu’est-ce qui LEUR arrive?
Je suis la Terre, leur demeure à tous, la seule et pourtant… ils me violent jour après jour et, en réponse à leur acharnement à m’oublier et me faire oublier, je m’effondre d’un cancer dont
ils se foutent éperdument. Je suis la Terre, votre mère. Quelqu’un m’entend?
Ce texte provient d'un exercice de 5 minutes fait en cours de Littérature Québécoise : écrire une histoire à partir d'une phrase. Cette phrase appartient à Gatien
Lapointe.
L'image représentant le texte est une peinture de Anne-Marie Zylberman.