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La solitude du docteur March

Par Anne Onyme

solitudedudocteurmarchGeraldine Brooks
Belfond
348 pages

CoupdeCoeur

Résumé:

Dans le Massachusetts, à Concord, un homme quitte femme et enfants pour s'engager auprès des nordistes. Un père aimant, mari fidèle et abolitionniste convaincu : le docteur March. Enrôlé comme aumônier, March va bientôt voir ses certitudes ébranler par les atrocités commises sur le champ de bataille. Mais rien n'aurait pu le préparer à retrouver celle qu'il n'a jamais pu oublier : la belle et douce Grace, une esclave rencontrée vingt ans plus tôt... Entre attirance tragique et culpabilité dévorante, engagements humanistes et devoirs familiaux, lynchages publics et mise à sac de plantations, March va devoir affronter des épreuves qui le changeront à jamais. Seul face à lui-même, sur une terre ou s'effacent les frontières entre le bien et le mal...

Mon commentaire:

Le roman Les quatre filles du docteur March de Louisa May Alcott commence alors que le père de la famille est à la guerre. L'histoire se termine lorsque ce dernier revient enfin à la maison. Dans l'intervalle, le roman de Louisa May Alcott nous raconte la façon dont vivent les filles March. Rien sur le père, si peu sur la guerre. C'est à partir de ce vide sur un personnage important du roman (puisque tout le monde attend avec impatience son retour) que Geraldine Brooks a écrit La solitude du docteur March.

L'écriture de ce roman est particulièrement belle et soignée. L'histoire nous est racontée avec élégance. Monsieur March s'est enrôlé comme aumônier. Il vit la guerre au quotidien, avec tout ce qu'implique cette période trouble de l'histoire américaine qu'est la guerre de Sécession. Pour le docteur March, rien n'est facile. S'il s'enrôle avec plein de bonne volonté et beaucoup d'espoir, il déchante rapidement lorsque la violence se fait quotidienne. Il écrit alors à sa femme, en tentant d'en dire le moins possible pour ne pas la choquer. Il écrit des lettres à celle qu'il aime et nous raconte en filigrane sa jeunesse comme représentant de commerce, alors qu'il s'entiche d'une domestique noire, Grace. Quand il la revoit des années plus tard, les choses se compliquent un peu pour lui et la présence de la jeune femme attise la jalousie de Madame March.

À travers les lettres du docteur March, à travers ses pensées et ce qu'il nous raconte, nous vivons de grands pans de sa vie personnelle. Nous assistons à sa rencontre avec celle qui deviendra sa femme, à la naissance de ses filles, à ses convictions et à son travail. Geraldine Brooks a fait un très beau travail de recherche tant sur cette période historique qui opposait abolistionnistes et propriétaires d'esclaves que sur sa construction du personnage du docteur March que l'on connaît si peu. Elle lui donne la chair qu'il lui manquait. En lisant ce roman, nous avons l'impression de redonner sa place à un grand absent du roman original de Louisa May Alcott. Geraldine Brooks s'est inspiré de la famille Alcott pour forger son personnage, un peu comme l'auteur des Quatre filles du docteur March l'avait fait pour donner une âme aux soeurs March.

Abolistionniste convaincu, Monsieur March oeuvrait avec sa femme au passage clandestin d'esclaves. Il travaillait à leur redonner liberté et dignité et s'est aussi occupé de leur scolarité sur une plantation. Mais la vie au loin est difficile et par moments, March se sent bien seul. Il remet en question ses convictions lorsqu'il est confronté à la violence des hommes. Geraldine Brooks réussit à donner une âme au docteur March et à rendre parfaitement le sentiment de solitude d'un homme de guerre. Il est témoin de nombreux événements qui le perturbent et qui laisseront des marques profondes en lui. C'est d'ailleurs l'essence même de ce roman: questionner la pertinence de la guerre, les batailles personnelles qui peuvent être livrées et la façon dont une telle violence peut changer celui qui y est confronté.

Le roman est par moments très émouvant et surtout, profondément humain. La majeure partie de l'histoire est racontée par le docteur March, mais sa femme prend la parole pendant un moment, alors que Monsieur March est inconscient. J'ai aimé que Geraldine Brooks en fasse quelqu'un d'humain, une femme animée par le doute, la jalousie, la bonté, mais aussi le questionnement. Voir son mari revenir de la guerre brisé et blessé, changé et presque méconnaissable la blesse cruellement. Elle n'est plus la sainte dépeinte par Alcott, mais une femme normale, en proie aux émotions contradictoires. J'ai aimé ce portrait car chacun a ses moments de faiblesse. L'auteur désacralise en quelque sorte son rôle de mère et de femme modèle pour en faire un personnage juste et humain.

La solitude du docteur March est un bel exercice d'écriture autour d'un des plus grands classiques américain. Si vous vous attendez à lire un roman en quelque sorte calqué sur Les Quatre filles du docteur March, passez votre tour. L'histoire nous amène dans une Amérique profondément divisée, où l'esclavage et ses enjeux sont au coeur des batailles que se livrent les hommes. Nous sommes loin de la douce innocence qui domine dans la maison des March où attendent Amy, Jo, Beth et Meg. On y retrouve cependant le raffinement d'une époque, la présence de nombreux personnages qui ont existés comme Emerson, Thoreau et Hawthorne. J'ai adoré!

Le roman alterne entre souvenirs de jeunesse, lettres, réflexion et tranches de vie au sein de l'armée. J'aime quand un auteur se frotte à un grand classique et entreprend de donner vie à un personnage ou à un événement demeuré dans l'ombre, un peu comme l'avait fait Budge Wilson avec Anne... avant la maison aux pignons verts. Ici aussi, il s'agit d'un travail d'écriture réussit!

Un roman que j'ai trouvé particulièrement intéressant pour le tableau d'époque qu'il nous brosse, tout en donnant une vie et un passé à un personnage quasiment inexistant du roman de Louisa May Alcott.

Une très belle lecture!

À noter la postface particulièrement intéressante où l'auteur parle de son travail de recherche et d'écriture et ajoute plusieurs informations sur les différents personnages qui l'ont inspirée.

Quelques extraits:

"Car connaître la bibliothèque d'un homme, c'est dans une certaine mesure connaître son esprit." p.30

"La nausée m'envahit, et je sentis que je serais incapable de poursuivre. Il en serait ainsi désormais: je ferais de mon mieux pour vivre dans le monde des vivants, mais les fantômes des morts seraient toujours proches." p.331


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