J’ai beau savoir le "fair-play" une denrée de plus en plus rare dans le monde du sport – à l’image de la société barbare et décadente – certains agissements de sportifs ou de supporters n’en sont pas moins aussi consternants qu’inacceptables. Ces gens-là ne peuvent prétendre aimer le sport. Ils le desservent. Je ne m’attendais donc pas à trouver quelque chose de reluisant en découvrant hier matin ce titre sur 20 minutes Des supporters belges s'en prennent au gardien japonais adverse aux cris de «Kawashima, Fukushima» (21 août 2011)…
J’appris donc par la même occasion que le gardien de but de l’équipe du Lierse qui jouait samedi soir contre Berrschot en Jupiler League est Japonais et se nomme Eiji Kawashima. Le but qu’il défendait était adossé à la tribune occupée par les supporters de l’équipe adverse qui l’ont pris à partie après un but encaissé par Berrschot. II a d’abord reçu un projectile et ensuite, ces pauvres connards ont entonné un chant particulièrement stupide : «Kawashima, Fukushima»… C’est sans doute très bon pour la rime mais comme le dit après la partie, en larmes, le gardien de but qui en fut la cible : «Je peux passer sur beaucoup de choses, mais pas sur cela. Utiliser le drame de Fukushima de cette manière n’a rien d’humoristique»…
On peut rire de beaucoup de choses et je m’en prive rarement –mais déjà «pas avec n’importe qui» dixit Desproges – et il est des sujets vraiment trop graves pour donner matière à plaisanterie. Autant je puis avoir la dent très dure et l’humour vachard, autant j’ai le cœur sensible et pleure comme une midinette devant la détresse humaine. Sans frontières.
Ne pensez pas que ce fût là une "histoire belge" : nous avons les mêmes à la maison. Souvenez-vous de la banderole déployée par de très intelligents supporters du PSG le 29 mars 2008 lors de la finale de la coupe de la Ligue entre Lens et le PSG : «Pédophiles, chômeurs, consanguins, Bienvenue chez les Ch'tis» (Europe1 le 2 décembre 2010). Spirituelle (?) allusion à la fois au film de Dany Boon et à la lamentable affaire d’Outreau (dont l’on sut de surcroît par la suite les accusations non fondées). Je n’ai pas l’intention de faire l’historique de la connerie – parfois hélas meurtrière ! - des supporters nazillons du PSG. Les personnes intéressées en trouveront les détails sur Wikipedia. Particulièrement édifiant
L’Olympique de Marseille est une de leurs cibles favorites. Petite anecdote marrante : longtemps le mur pignon d’un des petits immeubles HLM de Montmorency situés au-dessus de la place de l’Auditoire et devant lequel je passe pour monter à pied au centre-ville, s’orna (ils ont été ravalés depuis) d’un splendide et énorme tag : «Le PSG "bèze" Marseille». Ortografe garantie qui nous fit beaucoup rire.
Ils méprisent cordialement tout ce qui n’est pas parisien, apostrophant les supporters de Lens au cri de «Germinal ! Germinal !» ou traitant les provinciaux de «paysans»… Pour ce qu’il en reste. Ah ! si, je connais un éleveur de vaches vivant dans un petit village de la Loire et dont un des rares loisirs qu’il s’accorde est d’aller soutenir l’équipe de Saint-Etienne quand elle joue dans son fameux «chaudron».
Ils sont proprement ridicules. J’aimerais bien connaître l’arbre généalogique de la plupart d’entre eux. Combien sont d’authentiques parigots depuis des générations ? Je vous fiche mon billet que beaucoup ont certainement des racines qui plongent comme moi dans la paille des sabots de leurs aïeux, du moins du côté paternel, ce dont je suis loin d’être honteuse, bien au contraire. Ironie de l’histoire, il en est peut-être parmi eux qui descendent de mineurs du Nord-Pas-de Calais ou d’ailleurs… D’ailleurs en quoi ce serait-il déshonorant ? «Il n’est point de sots métiers mais des sottes gens» entendis-je à moult reprises dans mon enfance. Et pour avoir travaillé comme infirmière en usine pendant 6 ans, j’ai le plus grand respect pour le travail manuel et ceux qui l’exercent.
«Parisien tête de chien, Parigot tête de veau» entendis-je souvent dans mon enfance orléanaise ou lors de vacances en Sologne. Cela ne s’adressait pas à moi car bien que née à Paris où j’ai vécu les 4 premières années de mon enfance, je n’ai jamais même pensé à me revendiquer Parisienne - «ça me gêne ! ça me gêne !» chanterais-je a contrario de la chanson de Marie-Paule Belle. J’étais Orléanaise, tout à fait contente de l’être. Point barre.
Mais là où ils font particulièrement fort, c’est dans le racisme et la xénophobie. Choses qui me sont totalement étrangères, me répugnent et m’indignent. Ce ne sont bien évidemment pas les seuls. Il est loin le temps du Mondial 1998 lorsque la France vibra à l’unisson pour sa glorieuse équipe «Black-Blanc-Beur» ! J’eus le tort de croire et espérer que les choses changeaient. Ce ne fut hélas qu’un simple feu de paille.
Il n’y a pas qu’au PSG que des insultes racistes soient proférées par des supporters ou des joueurs contre leurs adversaires. Je ne sais plus où j’ai lu que certains supporters du club parisien avaient pris l’habitude d’émettre des cris de singes chaque fois qu’un joueur noir était en possession du ballon. Je suppose que Bernard Lama, originaire de la Guyane – gardien de but de grand talent qui fit également une très belle carrière chez les Bleus – n’eut pas droit à ce traitement de faveur, du moins de la part des supporters parisiens car quand il touchait le ballon c’était pour éviter qu’il ne rentrât dans la cage qu’il défendait. De la part de supporters d’autres équipes, je ne saurais dire.
En revanche, j’ai le parfait souvenir que Joseph-Antoine Bell, gardien de but camerounais qui évolua 9 ans en France, notamment à Marseille et Bordeaux, se plaignit de cris de singe et de jets de cacahuètes. Ce n’est bien évidemment pas le seul mais parmi les plus connus. C’est d’un raffiné !
Incontestablement, le football file un mauvais coton. Cela ne date pas d’aujourd’hui mais cela s’aggrave insensiblement chaque année qui passe. L’on ne compte plus les bagarres sur les terrains, entre adversaires ou supporters, les arbitres menacés ou agressés. Non seulement dans les championnats professionnels mais également chez les amateurs voire dans les équipes de jeunes. L’enjeu serait-il si important qu’il faille mépriser les adversaires à un tel point ? Mais bordel de merde, ce n’est qu’un jeu ! Avec incontestablement trop de fric.
Je reviendrais très certainement sur cette question car il est des salaires et des montants de transferts parfaitement aberrants en pleine crise financière, économique et sociale. Les joueurs de la Ligua espagnole font grève parce que leurs salaires ne sont plus payés – que devraient dire les «indignés» qui vivent avec des clopinettes ! s’ils furent aficionados, je ne pense pas qu’ils continuent à payer des places pour les matchs et acheter les maillots de leurs idoles et autres dispendieux gadgets - et je lis que le club de Strasbourg est en faillite. Pour une fois, je crierais volontiers «Vive la crise !». Qu’elle les mette tous – footballeurs professionnels et dirigeants de clubs – sur la paille. Ils reprendront leurs esprits.
Bien entendu, et je le répète, ils ne font que reproduire sur les terrains ou aux alentours, les comportements de plus en plus délétères que nous observons dans la société.
Je ne sais si vous avez souvenance du film de Jean-Pierre Mocky «A mort l’arbitre» - tiré d’un roman noir d’Albert Draper au titre évocateur : «The death penalty» - sorti en 1984 où l’on voyait un supporter déchaîné – magistralement incarné par Michel Serraut en beauf sanguinaire prêt à tout – entraînant un groupe surexcité à la poursuite de l’arbitre et de sa compagne (Eddy Mitchell et Carole Laure) dans un déchaînement de violence aveugle qui ira jusqu’à leur mort.
Je fus glacée d’effroi et en même temps affreusement pessimiste, sentant confusément ce que ce film pouvait avoir de prémonitoire. Le drame du Heysel, survenu l’année suivante – 39 morts et plus de 600 blessés à la suite des heurts et bousculades entre les hooligans britanniques soutenant Liverpool et les tifosi italiens supportant la Juventus de Turin à l’occasion de la finale de la Coupe d’Europe des clubs champions – ne put que me donner raison.
J’étais rentrée assez tard de la clinique à cause du retard d’une fille de l’équipe de nuit. Je ne pouvais pas partir avant leur arrivée pour la transmission et si l’une des deux ne venait pas, j’étais bonne pour faire la nuit à sa place. C’était moi ou la surveillante… A quelques années de sa retraite et super-sympa avec «ses filles» comme elle disait, je ne pouvais quand même pas lui faire ce tour de cochon ! Du coup, j’avais attendu assez longtemps le passage des bus. A Eaubonne et après, à la gare d’Enghien.
Je pensais donc prendre le match au milieu de la première mi-temps. Quand j’allumai le poste de télévision je restai un long moment avant de comprendre ce qui se passait. Le spectacle était hallucinant. Des groupes de rescapés mais surtout une multitude de corps qui jonchaient le sol. Piétinés dans la bousculade, certains étant sans doute morts étouffés contre les barrières de sécurité. De hautes grilles que les policiers belges avaient refusé d’ouvrir. Criminel !
Envie de pleurer et de hurler. Rage aussi de l’impuissance de l’infirmière en voyant ces spectateurs de bonne volonté tenter maladroitement de réanimer les victimes dont il était évident pour la plupart qu’elles étaient déjà mortes, le visage et même le corps bleuis par l’absence d’oxygène en témoignant. S’il ne devait me rester qu’une image de ce drame en mémoire ce serait celle de ces visages bleus.
Les autorités décidèrent que le match aurait quand même lieu. Sans doute avec raison, pour éviter d’autres incidents peut-être aussi graves en l’annulant. Mais je n’avais pas certainement pas envie de suivre un match de foot comme si rien ne s’était passé. Je fermai la télévision et m’allai coucher avec un livre. Le sommeil fut assez long à venir.