Le poids de la dette publique devrait amener les candidats à la prochaine élection présidentielle à revoir profondément leurs programmes. Il n’y a pas mille solutions pour s’en sortir : la mutualisation qui l’étale sur un plus grand nombre de pays mais suppose un approfondissement la construction européenne qui ne dépend pas seulement de nous, l’inflation contre laquelle la BCE luttera bec et ongle, l’augmentation drastique des impôts ou la diminution, tout aussi drastique des dépenses publiques. Autant de sujets qui devraient donner aux politiques l’occasion de débats intéressants.
On peut imaginer que la droite mettra l’accent sur la réduction des dépenses. Dans sa dernière livraison, Le Point rappelait ce qu’écrivait Claude Imbert, un de ses fondateurs, a écrite en 1992 : «Dans l’Etat français, la graisse de l’assistance a ruiné le muscle de l’autorité… il faut maigrir l’Etat avant qu’il ne nous entraîne dans la misère» et, quelques années plus tard, un autre de ses éditorialistes, Nicolas Baverez : «La France reste le dernier pays développé à refuser de moderniser son modèle économique et social.»
Sous leur plume, moderniser est un euphémisme pour couper dans les aides, prestations sociales et autres dépenses publiques. C’est heureusement (ou malheureusement) plus facile à dire qu’à faire : les amis d’Imbert et de Baverez sont au pouvoir depuis de nombreuses années et bien loin d’avoir réduit les déficits, ils les ont creusés malgré la multiplication des partenariats public-privé, la vente d’une partie du patrimoine, le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux, la fermeture d’hôpitaux et le déremboursement de dizaines de médicaments.
Les difficultés majeures à laquelle s’est heurtée la droite sont sa politique fiscale qui, sous couvert de favoriser l’investissement, a creusé les inégalités et réduit les recettes, son incapacité à imposer aux lobbies et groupe de pression de toutes sortes sa loi, mais aussi la décentralisation qui a dispersé les centres de décision et donc les sources de création de l’endettement.
La gauche aura d’autres difficultés, mais elle se heurtera comme la droite à un problème majeur que met bien en évidence l’étude que viennent de publier deux chercheurs de la Brookings Institution, Eswar Prasad et Mengjie Ding) repris dans le Financial Times (Debt burden in advanced economies now a global threat, FT, 31 juillet 2011) : la question démographique. Les pays développés vont devoir faire face dans les années qui viennent à un double défi qui n’est pas fait pour faciliter la question de la dette : une augmentation des dépenses de santé, du fait du vieillissement de la population et une croissance faible voire négative de la population active (elle était de 27, 6 millions en 2005, elle sera de 28, 5 millions en 2050 d’après les projections de l’INSEE en France pour un taux d’activité inchangé de l’ordre de 70% des 15-64 ans). Il n’y aura plus en 2050 que 1,4 actif pour un inactif contre 2,2 en 2005. Ce qui en pratique veut dire que le poids de la dette pèsera de plus en plus lourd sur les actifs et notamment sur ceux qui entrent aujourd’hui sur le marché du travail.
Cela devrait inciter la gauche à la prudence quant aux promesses sur le retour à la retraite à soixante ans mais aussi amener ses candidats à travailler :
- sur la réduction des coûts de la santé et de la dépendance. Sauf à imaginer une euthanasie généralisée ou une réduction de l’espérance de vie (qui n’est pas forcément impossible comme l’ont suggéré plusieurs études, notamment celles de Jay Olshansky qui mettent en avant l’impact de l’obésité sur l’espérance de vie), il va bien falloir trouver une solution pour maîtriser des coûts appelés à augmenter avec le vieillissement de la population. Une piste pourrait être la rationalisation des filières du médicament qui favorisent la surconsommation médicamenteuse chez nous (le médicament représente à peu près 20% du coût de la santé en France). Les marges de progrès sont considérables : si 90% des consultations de médecins se traduisent par une ordonnance chez nous, ce n’est le cas que de 43% de celles-ci aux Pays-Bas. Mais cela suppose d’agir tout au long de la chaîne, sur l’industrie pharmaceutique, sur la distribution (pourquoi vendre plus de médicaments qu’en a vraiment besoin le malade?), sur les pratiques des médecins, sur la demande des patients. Une autre piste devrait être la lutte contre les comportements qui favorisent la dégradation de la santé. Comme l’explique Michel Grignon dans une étude sur les conséquences du vieillissement de la population sur les dépenses de santé (Questions d’économie de la santé, mars 2003), «si l’allongement de la vie s’accompagne d’une amélioration de l’étant de santé, l’accroissement de la proportion de personnes âgées conduira à une augmentation moindre de la dépense par tête. Réciproquement, si l’amélioration de l’état de santé par âge est «achetée» par un accroissement de l’intensité des soins, l’augmentation de la proportion de personnes âgées pourrait se traduire par une augmentation forte de la dépense par tête» ;
- et sur la manière d’augmenter la proportion d’actifs dans la population, ce qui passe par la lutte contre le chômage mais aussi par une ouverture des frontières à l’immigration. Ce qui va exactement à l’encontre de la thèse dominante à droite qui associe immigration et destruction de l’emploi mais aussi à l’encontre de ceux qui accepteraient une immigration de travailleurs qualifiés dont nous manquons : du fait de notre système scolaire qui maintient longtemps jeunes et moins jeunes à l’écart du marché du travail, nous avons aussi et surtout besoin de travailleurs dans des emplois peu qualifiés et mal rémunérés que refusent ceux qui ont eu la chance de faire des études plus ou moins longues. Là encore la crise de la dette devrait amener à des révisions déchirantes des programmes conçus avant qu'elle n'explose.
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