L'apparition de l'informatique a fait entrer l'écrit dans un "âge nouveau" Non, pas dans une trappe, un trou noir ou une poubelle : j'ai bien écrit un "âge nouveau". J'entends par là une nouvelle conception du texte, de l'information (quelle que soit la forme qu'elle prenne : cartes, tableaux, graphes, sons, animations, etc.), une nouvelle façon de l'aborder, et surtout un nouveau type de lecture — et de lecteur.
Il faudrait ici que je fasse une longue (et probablement maladroite) description de ce qu'est un hypertexte, je préfère laisser parler plus compétent que moi :
"Techniquement, un hypertexte est un ensemble de nœuds connectés par des liens. Les nœuds peuvent être des mots, des pages, des images, des graphiques ou des parties de graphiques, des séquences sonores, des documents complexes qui peuvent être des hypertextes eux-mêmes. Les items d'informations ne sont pas reliés linéairement, comme sur une corde à nœuds, mais chacun d'eux, ou la plupart, étendent leurs bras en étoiles, sur un mode réticulaire. Naviguer dans un hypertexte, c'est donc dessiner un parcours dans un réseau qui peut être aussi compliqué que possible. Car chaque nœud peut contenir à son tour un réseau.
"Fonctionnellement, un hypertexte est un environnement logiciel pour l'organisation de connaissances et de données, l'acquisition d'information et la communication." (4)
Des logiciels d'hypertextes tournent dans des universités américaines ainsi que dans de grandes entreprises. Certains logiciels permettent à leurs qcuéreurs de créer des bases de données d'accès "associatif très immédiat, intuitif, et combinant le son, l'image et le texte." (5)
Nous voilà en pleine sphère synesthésique macluhanienne. Mais nous n'assistons pas pour autant à la disparition de l'écrit. Bien au conraire : il s'agit là de la naissance d'un nouveau rapport avec le texte. L'informatique transforme ou amplifie des pratiques déjà existantes, telles que le feuilletage ou la lecture en diagonale. Le texte conservé sur du support électromagnétique permet :
"le survol du contenu, l'accès non linéaire et sélectif au texte, la segmenation du savoir en modules, les branchements multiples sur une foule d'autres livres grâc aux notes de bas de page et aux bibliographies". (6)
Nous sommes donc loin d'assister à la mort de la galaxie Gutenberg. Il s'agit plutôt de son passage à un plan différent, que j'ose appeler supérieur. Nous voyons arriver de nouveaux rapports à l'écriture, au jeu, à la connaissance, à l'apprentissage, à la temporalité.
"Dans la civilisation de l'écriture, le texte, le livre, la théorie restaient, à l'horizon de la connaissance, des pôles d'identification possibles. Derrière l'activité critique, il y avait encore une stabilité, une unicité possible de la théorie vraie, de la bonne explication. Aujourd'hui, il devient de plus en plus difficile pour un sujet d'envisager son identification, même partielle, à une théorie. Les explications systématiques et les textes classiques où elles s'incarnentparaissent désormais trop fixes dans une écologie cognitive où la connaissance est métamorphose permanente. Les théories, avec leur norme de vérité et l'activité critique qui les accompagne, cèdent du terrain aux modèles, avec leur norme d'efficience et le jugement d'à-propos qui préside à leur évaluation." (7)
Sylvie Denis
(4) Pierre Lévy, Les technologies de l'intelligence, La Découverte, p. 38.
(5) Idem, p. 38.
(6) Idem, p. 39.
(7) Idem, p. 136.
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