Le premier Boeing 747-8F va ętre livré sous peu ŕ Cargolux.
La compagnie luxembourgeoise Cargolux, peu habituée ŕ se retrouver sous les feux des projecteurs, s’arroge une premičre de taille : c’est elle qui va prendre livraison dans quelques jours du premier 748-8F, ultime dérivé du vénérable Jumbo Jet. Il s’agit bien entendu de la version fret du trčs gros porteur, que suivra la version passagers retenue, notamment, par Lufthansa.
Ce Ť 8F ť s’est précipité sur le créneau laissé vacant par l’A380F, abandonné (officiellement reporté ŕ des jours meilleurs) quand le géant européen a abordé une zone de fortes turbulences. L’initiative de Boeing, preuve de grande réactivité commerciale, n’en présente pas moins deux facettes contradictoires, source de grande perplexité.
Le marché du fret, tout d’abord : il est limité, probablement 3.000 avions sur 20 ans, dont les deux tiers résultant de la conversion d’avions passagers. En d’autres termes, dans la catégorie des gros porteurs, les perspectives se limitent ŕ moins d’une cinquantaine d’avions neufs par an. C’est peu, sauf dans le cadre d’un monopole de fait qui fut précédemment celui du 747-400F et se prolonge avec le 747-8F, grâce au retrait du concurrent européen. Boeing a d’ores et déjŕ vendu 114 exemplaires du Ť 8F ť, un bon départ.
Le marché passagers, ensuite. Aprčs avoir décidé de poursuivre sur le marché du trčs gros cargo, Boeing a effectué une étonnante volte-face en proposant une version passagers du męme appareil, cela aprčs avoir clamé que l’A380 était voué ŕ l’échec, faute de marché suffisant. Le 747-8 Intercontinental, allongé et remotorisé par General Electric, offre une capacité de 467 places dans une configuration ŕ trois classes. Il est donc trčs proche de l’A380, habituellement présenté, sur catalogue, dans un aménagement ŕ 525 sičges (et non plus 555 comme ŕ l’époque de son lancement).
Il n’est pas faux d’affirmer que Boeing a changé son fusil d’épaule et a finalement estimé justifié de contrer l’A380 sur son propre terrain. Les études de marché menées ŕ bien ŕ Seattle ne sont pourtant pas tout ŕ fait convaincantes, cela en admettant qu’elles soient objectives. En effet, les perspectives de ventes, dans cette catégorie dite des ŤLarge Aircraftť, seraient de 820 avions seulement sur deux décennies. Airbus en prévoit grosso modo deux fois plus. La réalité est peut-ętre plus nuancée : ŕ long terme, les ventes de l’A380 pourraient finalement s’envoler et, du point de vue de Boeing, le 747-8 apparaîtrait ŕ ce moment indispensable pour le contrer.
Restait ŕ justifier ce changement d’attitude sans perdre la face. Les artistes américains de la communication se sont mis au travail et ont immédiatement opté pour une Ťdémonstrationť trčs simple : le dernier-né de la famille 747 correspond aux besoins des compagnies aériennes se situant entre l’A380 ŕ 555 places et de 777-300 ŕ 365 places. CQFD. Jusqu’ŕ présent, les résultats de cette stratégie ne sont pas convaincants, la version passagers du 748-8 n’ayant obtenu que 36 commandes.
Entre-temps, la guerre des chiffres économiques fait rage, Boeing s’efforçant de démontrer que son avion est plus rentable que son concurrent, qu’il afficherait des coűts directs d’exploitation inférieurs de 6%. Bien entendu, cette affirmation est rejetée par Toulouse sans autre forme de discussion. Le verdict ne sera connu que dans de nombreuses années, les deux rivaux gros porteurs étant probablement appelés ŕ connaître une trčs longue carričre.
Cargolux, qui exploite actuellement 14 Boeing 747, n’a pas hésité ŕ miser inconditionnellement sur le 8F qui, ŕ terme, remplacera la totalité de sa flotte actuelle. La compagnie luxembourgeoise a transporté l’année derničre 683.380 tonnes de fret et, aprčs des difficultés nées de la récession, reprend sa croissance. Elle constitue une vitrine flatteuse pour son fournisseur, chacun de ses avions volant, en moyenne, prčs de 16 heures sur 24. Ce qui suppose une fiabilité technique exemplaire.
Pierre Sparaco - AeroMorning