Anthologie permanente : Nuno Júdice

Par Florence Trocmé

Les éditions Potentille publient Le Mystère de la beauté du poète portugais Nuno Júdice, traduction de Lucie Bibal et Yves Humann, en collaboration avec l’auteur.  
 
 
POÈME 
 
Il est dans la campagne une science que je ne sais 
pas lire, quand la pluie commence à tomber 
avec la monotonie du soir et que son bruit 
interrompt le silence qui croît sur  
la pelouse, quand les oiseaux ne 
chantent pas. J’effeuille ses pages, 
entre le sentier et la roselière 
qui cache la rive presque sèche ; et 
une logique d’équations automnales 
me ravit la lumière qui entrouvrait un 
désir d’été, comme si la nuit 
était arrivée pour rester. Mais quand 
je ferme le livre et que j’oublie que 
les choses naissent de cette science ancienne, 
l’arbre ouvre une seconde fois ses branches 
pour m’accueillir, et je récolte le fruit 
du passé pour sentir dans la bouche,  
encore une fois, le jus de la vie.  
 
Nuno Júdice, Le Mystère de la beauté, Éditions Potentille, 2011, 7,70 €, p. 15 
 
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ÉTHIQUE 
J'arrive devant la mer, ses vagues,  
les marées que septembre courrouce, les gris 
et les bleus qui alternent avec d'étranges verts;  
une voix traite de la folie, ou du regard vide 
des poissons, ou d'un thème aussi desséché que les algues 
à marée basse; un vent a parcouru la plage, 
dans le silence du soir, restituant au corps des eaux 
une unité ancienne. La mer, cependant, suppose 
qu'on l'oublie. Dans ses profondeurs dorment les images 
que le sommeil ne conserve plus; des bras qui s'agrippent 
aux mâts du naufrage. Un navire abstrait 
est passé lentement sur l'horizon que le matin n'a pas vu, 
pénétrant de l'autre côté de la terre, par instants 
oublié par la musique des ports. Le poème m'a-t-on dit 
a ignoré cette distraction : il a traversé 
la limite de l'éternité, s'est vêtu de mots 
nocturnes, a laissé la mort le contaminer. 
En bord de mer, je ne m'aperçois de rien ; et je le dis, 
lentement, répétant à voix basse, 
toutes ses contradictions.  
 
Nuno Júdice, Un chant dans l'épaisseur du temps, suivi de Méditation sur des ruines, traduit du portugais par Michel Chandeigne, Poésie Gallimard 1996, p. 48 
 
 
Nuno Júdice dans Poezibao :  
bio-bibliographie, ex. 1