Pour la deuxième fois en un mois, la capitale économique du Pakistan est le théâtre de violences ethniques. En 6 jours, les fusillades et les assassinats ciblés ont fait environ 90 morts.
Emmanuel Derville
Tout a commencé mercredi soir. Wajad Karim Dad, un politicien du PPP, le parti au pouvoir, est abattu alors qu’il dîne dans un hôtel du quartier de Lyari, dans l’Ouest de Karachi. Lyari est un bastion du PPP. Dans les heures qui suivent, des jeunes du voisinage sont enlevés. La scène se répète dans le quartier de Liaquatabad, tenu par le MQM. Ce parti défend les intérêts des Mohajirs, une minorité ethnique dont les descendants ont immigré au Pakistan après la partition de l’Inde en 1947. La police retrouve les cadavres dans des sacs en jute éparpillés à travers la ville. A l’intérieur, des bouts de papiers : « Vous voulez la guerre ? », « Vous voulez plus de morts ? ». Les victimes ont été torturées et mutilées avant d’être exécutées.
Cette vague de violence intervient alors que le PPP négocie avec le MQM pour qu’il rejoigne la coalition au Parlement fédéral et à l’Assemblée de la province du Sindh, la région dont Karachi est la capitale. « Ces violences sont liées aux pourparlers en cours », estime Ahmed Chinoy, directeur du Citizens-Police Liaison Committee (CPLC), un organisme privé qui lutte contre les enlèvements. Une source policière précise : « à Karachi, l’ethnie sindhie est bien représentée au sein du PPP. Elle ne veut pas voir les Mohajirs du MQM étendre leur influence et les dirigeants du PPP à Islamabad ne contrôlent pas toutes les factions de leur parti. »
La Commission des droits de l’homme du Pakistan estime à plus de 800 le nombre de personnes tuées à Karachi entre le mois de janvier et le mois de juillet. « Je ne suis même plus choquée par ce qui se passe. Le calme ne règne jamais vraiment ici », confie une habitante, résignée. Dans les quartiers en proie aux violences, les habitants réduisent leurs déplacements au minimum.
Ce jeu de massacre illustre la guerre ethnique en cours dans la capitale économique du Pakistan, où se trouve la bourse et dont l’activité contribue à 25 % du PIB. Entre 1981 et 1998, date du dernier recensement, la population a bondi de 90 %. Elle compterait aujourd’hui plus de 18 millions d’habitants. Outre les Mohajirs et les Sindhis, les Pachtounes originaires du Nord-Ouest du pays affluent. Ils fuient les combats entre l’armée et les talibans. L’explosion démographique est telle que les groupes ethniques se battent pour le contrôle des ressources : terrains, eau, trafic de drogue… Les formations politiques, dont le PPP et le MQM, sont liées à des organisations mafieuses qui leur permettent d’étendre leur influence à coup de nettoyages ethniques : expulsions, passants contrôlés puis exécutés selon leur origine…
Depuis samedi, le président de la République et co-président du PPP, Asif Ali Zardari, multiplie les réunions avec les cadres de son parti pour apaiser la situation. En vain. Dimanche et lundi, les violences se sont étendues à quelques quartiers et au moins 20 personnes ont été assassinées ou abattues dans des fusillades. Et hier soir, le MQM a annoncé une journée de deuil en mémoire de ses victimes pour aujourd’hui, signe que la tension est loin d’être retombée.
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