Rébellion

Par Ledinobleu

Au 18e siècle, Sasahara, samouraï d’un fief vassal du shogun va bientôt prendre sa retraite et confier le rôle de chef de famille à son fils aîné. Féru d’arts martiaux, il a eu deux grandes frustrations dans sa vie : c’est un guerrier dans l’âme, mais il a vécu dans un monde en paix ; c’est un homme, mais il a été dominé par une femme à poigne qui lui a toujours reproché son manque d’ambition.

Alors qu’il s’apprête à ranger définitivement son sabre, sa famille va être mêlée aux intrigues de la cour avant d’être injustement sacrifiée aux intérêts du fief. Sûr de son bon droit, le vieux guerrier sans gloire va choisir la révolte et faire trembler le clan tout entier…

Ce qui saute aux yeux dans Rébellion, du moins dans un premier temps, c’est quel genre de chosification pouvait subir la femme dans le Japon traditionnel. Car les intrigues de cour auxquelles Sasahara va se trouvé mêlé concernent une épouse du shogun que celui-ci a répudié pour des raisons qui resteront obscures un certain temps ; le suzerain veut confier sa femme rejetée au fils aîné de Sasahara sans se préoccuper de ce qu’en pense qui que ce soit et surtout pas la première concernée. De même, il ne se souciera des sentiments de personne quand il rappellera celle-ci à ses côtés, des années plus tard et alors qu’une famille a été fondée, pour faire acte de présence auprès de son fils quand ce dernier deviendra le dauphin à la mort de son frère aîné.

À travers cette jeune femme, qui n’a rien demandé à personne et certainement pas d’épouser un chef de guerre dont l’humanité ne constitue pas le point fort, Masaki Kobayashi (1916-1996) dresse un portrait du Japon féodal qui cadre assez mal avec les représentations qu’on en trouvait en général jusque-là : celles-ci en général glorifiées par une apologie de ce bushido, qui n’existât pourtant que dans les écrits assez fantasmés de Miyamoto Musashi (1584-1645) et de certains de ses contemporains (1), présentaient le plus souvent cette période du Japon sous un jour qui, pourtant, ne lui ressemblait guère ; on vit bien sûr des embellissements semblables en occident aussi, qui tentèrent de montrer à leur avantage des faits qui en avaient bien moins (2)

Cette attitude iconoclaste de la part du réalisateur, en fin de compte, n’étonne pas puisque le réalisateur avait déjà fait une dénonciation semblable dans son film Hara-Kiri de 1962. Au reste, remettre les pendules à l’heure ainsi se trouvait dans l’air du temps, au Japon comme ailleurs dans le monde, puisque l’époque dans son ensemble se caractérisait par un certain rejet des valeurs d’antan, jugées dépassées par les nouvelles générations et auxquelles beaucoup d’artistes attribuaient peu de mérite en raison du conservatisme que ces traditions reflétaient. Le Japon d’alors, en fait, exorcisait simplement ses démons (3), et ceux-ci se trouvaient bien sûr à la hauteur de ses ignominies du passé.

Quand à la suite du film, elle ajoute à la critique acerbe une satire aux accents assez drôles en montrant à quel point une société aussi patriarcale et machiste que celle du Japon féodal pouvait condamner l’existence d’un clan tout entier et même l’équilibre de la paix dans une région entière pour une seule et unique femme. Comme quoi, le genre féminin ainsi chosifié n’en demeurait pas moins central, et la véritable portée de son statut social effectif restait quoi qu’il en soit une simple question d’appréciation personnelle – en l’occurrence celle de son second mari et du père de ce dernier, un bretteur émérite avec lequel il vaut mieux savoir où s’arrêter, même pour un shogun…

Dénonciation du pouvoir dans ce qu’il présente de plus inhumain mais aussi de l’absurdité de traditions où l’individu se noie dans le groupe, Rébellion reste à ce jour une des grandes réussites de ce cinéma japonais qui dit ce qu’il pense. Rien que pour ça, il mérite largement deux heures de votre temps.

(1) Antonia Levi, Samurai from Outer Space: Understanding Japanese Animation (Open Court Publishing Company, 1996, ISBN : 978-0-8126-9332-4), p.71.

(2) on peut citer par exemple, pour rester dans le domaine de la chevalerie, l’exemple de la légende du Roi Arthur montée de toutes pièces ou presque pour donner à la dynastie de Henri II Plantagenêt (1133-1189) une dimension mythique qui, en fait, ne lui appartenait pas ; voir l’ouvrage de Jean Markale, Nouveau Dictionnaire de mythologie celtique (Pygmalion, 1999, ISBN : 978-2-857-04582-3), p. 26 et 29.

(3) Jean-Marie Bouissou, « Du Passé faisons table rase ? Akira ou la Révolution self-service » (La Critique Internationale n°7, avril 2000).

Récompense :

Prix FIPRESCI à la Mostra de Venise en 1967.

Rébellion (Jôi-uchi: Hairyô tsuma shimatsu), Masaki Kobayashi, 1967
Wild Side Video, 2006
128 minutes, env. 15 €