En rentrant de l'école.
Je monte dans ma chambre.
L'angoisse de la mauvaise note que je viens de recevoir suite à mon contrôle de mathématiques grandit de plus en plus. Je tourne en rond dans cette chambre toute bleue, froide. Silencieuse. Je cherche une solution pour parvenir à éviter les coups de "l'autre".
Bon élève, je n'ai jamais ramené une aussi mauvaise note.
Seul dans la maison, il me reste encore un peu de temps pour trouver un moyen de me sortir de ce pétrin avant son arrivée.
La panique accélère les battements de mon coeur. La chaleur m'étourdit et me donne des vertiges. Je me dirige alors dans la salle de bain pour me mettre un peu d'eau sur la figure. L'eau fraîche me glace le visage presque à m'en pâmer. La sensation est très forte mais très agréable. Piquante.
Au moment où je relève la tête, je vois l'autre dans le miroir, derrière moi, vêtu de son uniforme. La chienne qui est entrée dans la maison se met à grogner sur lui. D'un violent coup de pied, il l'a fait sortir de la salle de bain et ferme la porte derrière lui.
- Papa !
D'une main il m'attrape par le cou, et me plonge dans la baignoire, remplie d'eau savonneuse. Lorsque ma tête est sous l'eau, j'entends ma mère qui crie le prénom de mon père.
Mais sa voix est différente.
Quand il me relève, je vois ma mère accroupis dans le coin de la salle de bain qui fume une cigarette.
En larmes, je tends une main vers ma mère.
- Maman !
- Il est obligé de faire cela Théo. Tu as eu une mauvaise note.
Sa robe de chambre est sale, et son maquillage a coulé sur ses joues. Je vois du sang sur le torchon qu'elle tient dans les mains.
La chienne m'attrape la jambe gauche et tire sur mon pantalon avec ses crocs, tandis que "l'autre" me tire les cheveux.
- Je vais t'apprendre à me ramener des torchons pareils !
Il saisit alors le torchon que ma mère tient dans les mains et tente de m'étouffer en l'écrasant de toute ses forces sur le nez. Une odeur acide me brûle violemment les poumons et me fait suffoquer, presque à en vomir. J'entends ma mère crier :
- Jean-Marc ! arrête ! tu es fou ! Mon dieu ! Joséphine !
Son crie est tellement effroyable qu'il me fait sursauter. En sueur, assis dans mon lit, je vois mon oreiller sur le sol et mon pied gauche enroulé de mes draps. Dans ma chambre plongée dans le noir, je ne vois qu'une lumière électrique qui passe sous la porte. Une odeur de brûlé émane de la chambre de mes parents. Il me faut quelques secondes pour réaliser que la salle de bain, le torchon plein d'acide et de sang étaient les éléments d'un mauvais rêve, et non pas de la réalité.
Il est 4h30 du matin lorsque je sors précipitamment de ma chambre. Quand je suis sur le pas de la porte, je vois "l'autre" debout au milieu de sa chambre, en face de ma mère terrorisée, le couvre-lit qui commence doucement à se consumer sur ses épaules, un briquet à la main.
- Je vais crever ! C'est ça que tu veux !
- Jean-Marc !!! Mon dieu ! arrête ! Tu es malade ! tu es fou ! Jean-Marc !
Ma mère, les bras tendue devant elle pour se protéger, est contre le mur de la chambre coincée par lui, qui l'empêche de sortir.
L'odeur du couvre-lit synthétique, qui commence à sérieusement se consumer, devient insupportable. Ma soeur et moi crions de peur de voir ma mère prisonnière d'un fou furieux, pyromane et dément.
- Maman !!!
Il écarte les bras en croix tel un héros sacrifié, portant tout le tragique imaginable sur sa seule personne, et s'approche de ma mère.
Le couvre-lit tombe sur le sol.
Ma soeur qui hurle de terreur, ne peut bouger le moindre membre, tétanisée par l'horreur, asphyxiée par l'odeur.
Alors qu'il continu à hurler comme un fou dans sa crucifixion imaginaire, il se laisse tomber sur les genoux.
Ma mère et moi, nous nous précipitons alors sur le couvre-lit en frappant très fort sur le sol pour éteindre les flammes.
- Je vais crever... c'est ça que tu veux voir... Tu veux me faire cramer... Myriam, tu veux que je crame...
Ma soeur court ouvrir la fenêtre pour aérer la chambre enfumée, suffocante, quand elle voit que nous maîtrisons le feu et que le danger des flamme est écarté. Alors qu'il continu à gémir sur le sol, comme dans un état second, ma mère nous fait sortir de la chambre.
- Habillez-vous !
Ma mère parle à voix haute, prenant le risque qu'il entende ce qu'elle dit.
Tellement occupé à s'époumoner, à gronder tel un monstre furieux, il ne voit pas la précipitation qui nous anime, à fuir de la maison.
Nous descendons rapidement les escaliers. Ma mère saisit au passage son sac à main. Les clés de la voiture. Derrière nous, les hurlements.
- Myriam !!! Les enfants ! Je vais me faire crever ! Je vais vous faire crever !
Ma mère tourne la clé fermement.
La voiture s'échappe dans le noir. Rutilante.
(A suivre...)